Le grand verger (suite)
Montre voir, tu me caches quelque chose.
-Tu y tiens ?
Je découvre une facture de l'hôtel-restaurant St Paul de Verdun mentionnant trois repas et…une chambre.
- A quoi tu penses Béa ?
-Grand-père avait une maîtresse qu'il retrouvait à Verdun, sinon pourquoi une chambre…Pendant que ta mère allait faire des courses…
J'avais un tout autre cheminement, ma cousine devait avoir le même.
-Non, Olivier…enfin souviens-toi, ils étaient distants l'un de l'autre, aimables, mais distants.
J'essayais de chasser une mauvaise pensée, j'avais été surpris de la peine éprouvée par maman lors de l'accident de grand-père, ses yeux embués durant plusieurs jours.
-Et puis après tout si c'était le cas…ils étaient libres tous les deux…N'y pense plus Olivier, mettons ces agendas à l'abri d'autres regards et, en hiver, quand tu feras du feu dans le fourneau du bas, tu les brûleras.
J'étais entièrement d'accord.
L'autorail de midi moins le quart vient d'annoncer son arrivée en gare, c'est bientôt l'heure du déjeuner, nous quittons la tour.
Je sens Béa crispée sur le tansad, malgré son poids plume, j'éprouve des difficultés à maîtriser ma moto, je dois accélérer progressivement, rouler à une vitesse raisonnable, les villageois nous regardent passer avec étonnement, pour une fois, ils ont largement le temps de me voir.
La route de Prévocourt et ses multiples tournants ne rassurent guère ma passagère, elle est raide, n'ose se pencher à mon rythme et je dois bloquer vigoureusement ma machine avec les genoux pour éviter la chute, c'est un supplice. Enfin la ligne droite précédant le village me permet de mettre la gomme, la cousine doit être morte de peur, c'est bon pour ce que j'ai prévu au retour.
- Michel est avec papa, sur la route de Lancourt, ils essaient un tracteur.
C'est la demoiselle Cordier nous accueille.
- Vous ne pouvez pas les rater.
Jolie la paysanne, très souriante, mon copain Michel sera heureux avec elle, si le père Cordier l'accepte dans la famille.
Impossible en effet de manquer l'attroupement en haut de la côte, un gros tracteur rouge est le centre d'intérêt.
- Tu vois ce que le patron va acheter et c'est moi qui vais le conduire.
Michel jubile et je comprends son état, passer de la charrue tirée par des chevaux à un tel engin rutilant, il y a de quoi être radieux.
- Ma cousine Béatrice, tu là reconnais.
- Vous n'avez pas eu la frousse en moto, avec ce fou d'Olivier.
- Absolument pas, c'est excitant au contraire mais oublie le vous avec moi, je t'ai connu tout petit, ta sœur Yvonne était une amie.
Cette révélation me surprend, moi qui pensais que cette descendante des Montcy n'avait jamais frayé avec des gens de conditions aussi modestes.
- Je lui avais prêté ma robe de communiante, elle a un an de moins que moi.
Nous saluons monsieur Cordier.
- Vous êtes la fille de Charles, nous allions à la chasse ensemble, avant la guerre, j'ai jeté mon fusil aux orties en rentrant d'Allemagne, j'ais vu trop d'horreurs, j'ai été envoyé dans un camp où j'ai failli mourir, tout ça pour une tentative d'évasion. Donnez-lui le bonjour...votre ferme n'est pas encore mécanisé? Il faudra y passer, c'est une obligation, celui-ci est un Massey-Harris, une bonne marque je pense, nous avons peu de références, rares sont encore les agriculteurs équipés dans notre région, j'avais essayé un Ferguson, trop léger pour nos terres argileuse.
Volubile monsieur Cordier, et sympathique, la fille, le père, si la mère est aussi avenante, je suis rassuré pour Michel, il va sortir de sa misérable condition, son avenir est prometteur.
Le sentier qui, partant de la route départementale conduit vers la résidence d'Albert est en mauvais état, pire que l'autre. Toujours en pleine forêt, utilisé régulièrement par les engins des débardeurs de grumes, il est défoncé, raviné et ...glissant.
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