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Le grand verger (1)

Le narrateur, Olivier Montcy a 18 ans, vous le découvrirez, ainsi que son entourage dans ce roman-fiction. Vous le suivrez durant l'été qu'il passe dans la propriété familiale, une période mouvementée qui marque un tournant dans sa vie, puis durant les mois suivants, alors qu'il devient adulte.

Le grand verger

 

Je freinais doucement, par petits coups, la route était humide et luisante, cette pluie de fin août, après deux bons mois de sécheresse diluait un amalgame de poussière, d'huile perdue par les camions et de feuilles arrachées par le vent. A plusieurs reprises, la roue arrière de ma moto m'avait signalé le danger en se dérobant dans les virages.

Malgré la buée à l'intérieur de mes lunettes et les gouttelettes sans cesse renouvelées à l'extérieur, il me semblait avoir aperçu une forme couchée sur le bord de la route, et cette forme n'était pas celle d'un animal, chevreuil ou renard comme il est fréquent d'en voir dans ce secteur, intrigué, je faisais demi-tour.

J'avais bien vu, c'était effectivement un homme, allongé au bord du fossé, apparemment sans vie.

J'éprouvais un sentiment de crainte, de répulsion, la mort, tout ce qui lui ressemble et tout ce qui l'entoure reste encore dans mon esprit un sujet tabou. A dix-huit ans, je me refuse à accepter qu'un être humain puisse, d'un seul coup, cesser toutes fonctions pour ne devenir qu'un cadavre inerte et froid qu'il faut rapidement enfermer dans un cercueil et descendre en terre avant qu'il ne soit putréfié. Pourtant, j'avais été confronté à cette dure réalité, à cette finalité de l'homme, les quatre ans de guerre m'avaient appris que non seulement des personnes âgées, arrivées au bout de leur chemin pouvaient disparaître à tout jamais, mais que des hommes et des femmes en pleine forme, des adolescents et même des enfants étaient également victimes de la faucheuse aveugle et impitoyable, cette affreuse figure squelettique visible à travers un vitrail de l'église, ce symbole que  j'avais eu  devant les yeux lorsque j'étais enfant de chœur, que je n'osais regarder et qui pourtant irrésistiblement m'attirait. Le souvenir douloureux de l'enterrement de trois fillettes tuées par des bombardements, les hurlements des deux mamans, la vue de quatre jeunes Américains abattus par les Allemands le jour même de la libération, autant de cauchemars qui hantent encore certaines de mes nuits. Mais c'est surtout la mort de mon père que treize ans après je ne veux admettre, ce père que je pleure encore et toujours, qui me manque terriblement. Je ne garde que de vagues souvenirs de lui,  paradoxalement des images fortes comme celle de son  départ à l'issue de la dernière permission, les embrassades interminables sur le quai de la gare, le mouchoir qu'il agitait jusqu'au tournant, penché au risque de tomber par la fenêtre du wagon, comme s'il pressentait qu'il ne reviendrait jamais plus, d'ailleurs maman pleurait à chaudes larmes et me serrait fortement la main, elle aussi avait cette terrible impression. Je le revois encore dans son uniforme d'aviateur, nettement plus élégant que  les autres militaires vêtus d'accoutrements désuets, j'étais fier  de me promener avec lui, tous les villageois se retournaient sur nous, admiratifs, et ce cadeau magnifique, un harmonica dont j'arrivais à tirer des sons presque mélodieux, vite disparu, probablement subtilisé par un jaloux.

 

Je m'approchais doucement, me penchais, guettant le moindre de signe de vie sur le visage de cet homme étendu sur le dos, les bras en croix.

J'avais un brusque mouvement de recul...

.../...



10/10/2010
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