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Un été ordinaire

Une certitude,  six paquets manquaient sur la pile de premier choix, celle du soixante millimètres de largeur, celle de gauche, j’avais marqué vingt deux paquets, il n’en restait que  seize.

- Un beau lot, de belles longueurs, un dizaine de mètres carrés envolés...deux clients sont venus presque en même temps, la menuiserie Lombardi et un autre, je ne sais plus son nom, un gros avec une camionnette verte.

Gabriel venait de constater une anomalie dans le stock.

- Mansion, j’ai vu le nom sur la facture que préparait Simone, c’est ma tante qui s’est occupé de lui.

- C’est souvent elle qui s’occupe de ce client, il doit la flatter, tu connais ta tante, un peu de pommade et elle devient moins revêche.

- Avec toi et les autres peut-être, jamais avec moi.

Je passais au bureau.

- Vous avec encore des commandes pour la menuiserie Lombardi ?

- Oui monsieur Frédéric, plusieurs, il doit revenir la semaine prochaine, ils ont un gros chantier, une caserne.

- Quel choix ?

- Du troisième choix en grandes largeurs.

- Et pour Mansion ?

- C’est un client régulier, il est chargé de l’entretien des cités d’une grosse usine de fer, du troisième choix, quelques fois du deuxième. 

 

 La défaillance d’un gros client tombait mal, ma tante et mon père se rejetaient la responsabilité d’avoir fait confiance trop longtemps, je tendais l’oreille, savoir si il s’agissait de Lombardi ou de Mansion.

- Tu as accepté de livrer alors qu’une première traite était revenue impayée, c’est de l’inconscience.

- Et ta demande de renseignements à la banque? Ces gredins t’ont une fois de plus roulé dans la farine, la société Delanaud a les reins solides, elle peut se payer... des impayés, ton ami directeur est coupable, demande-lui de faire le maximum sinon nous retirons nos billes de ses caisses.

Le client ‘véreux’ n’était pas Lombardi, ni Mansion, c’était une autre société et j’étais surpris, le patron nous avait déjà laissé une ardoise alors qu’il dirigeait une entreprise sous un nom différent, comment des affairistes comme mon père et ma tante avaient pu se faire avoir une seconde fois ?

 

Poussif le vélomoteur de Fernand, j’avais créé la surprise en prétextant une promenade dans les environs, sans donner de précision.                                           

- Heureusement, ton cycle commençait à rouiller.                                                          

J’avais caché ma bicyclette derrière un tas de grumes avant d’enfourcher l’engin pétaradant et fumant.

Un grand panneau frontal dominait le porche d’entrée de la SOFAMA ; impressionnant, autre chose que notre petite pancarte en bois à peine visible. J’avais contourné le mur d’enceinte et m’étais arrêté au bout d’une rue dominant une grande partie de l’usine. De ce poste avancé, je voyais le parc à grumes et découvrais le manitou. Il ressemblait à un tracteur agricole roulant à reculons et muni de deux bras d’acier. Celui qui le conduisait était un virtuose, l’engin arrivait contre les grumes, les deux bras s’enfilaient en dessous et d’un mouvement basculant, les billes étaient soulevées de terre comme des allumettes? Une manœuvre habile et les trois billons filaient vers la scie. J’étais fasciné par ce spectacle et ne m’en lassais pas. Fernand avait raison il faudra y passer.

- Alors jeune homme on s’intéresse à la mécanique.                                                            

Un homme âgé venait de me rejoindre.

- C’est beau mais c’est triste, trois bonshommes en moins à cause de cette machine ronflante, dans quelques années, tout sera modernisé et les ouvriers n’auront plus de boulot...mais tu ne serais pas le fils Delanaud toi? T’as le même regard qu’Augustin, c’était ton grand-père n’est-ce pas?

Visiblement heureux de me rencontrer l’ancien, il me raconte qu’il a travaillé dans notre usine durant de longues années, des larmes lui perlent aux yeux.

- Je me souviens de toi, tu devais avoir cinq six ans quand nous avons quitté Calaumont.

- Vous avez connu maman alors.

- On la voyait rarement à l’usine, seulement lors du goûter de Noël, viens à la maison, j’habite juste en bas de la côte à cent mètres d’ici, ma femme sera contente de te revoir.

Le couple ne me lâchait plus, la brave dame devait mélanger les dates et les personnages, parlant de mon père puis de mon grand-père dans un ordre dispersé.

- Ton père n’avait pas été gentil avec nous.

- Tais-toi Germaine, n’embête pas ce garçon avec de vieilles histoires.

- Tout de même, je l’ai encore sur le cœur, et notre petite n’oubliera jamais.

Je voulais aller plus loin dans la discussion mais le vieux me poussait vers la sortie.

- Elle radote la patronne, que veux-tu, c’est l’âge.

 

- Alors t’a pu voir quelque chose?

Je faisais part à Fernand de mon admiration devant cet engin fabuleux.

- J’ai rencontré un certain Isidore, il habite à Maraucourt.

- Isidore, ouais c’est vrai, il est encore de ce monde, un solide, et sa Germaine, toujours aussi bavarde ?

- Elle n’aimait pas papa.

- C’était rapport à leur fille, un peu simplette, elle avait  été, comment dire, contrainte, certainement par un bûcheron, on a jamais su le fin mot de l’affaire, les parents de la gamine ont fait du foin, ils voulaient porter plainte, tu connais ton père, il ne voulait pas entendre parler  de choses pareilles, il a demandé à Isidore et à sa famille de lever le camp, voila.

Décidément le secteur de notre usine regorge d’agresseurs sexuels depuis plusieurs années.

- Et les parents n’ont pas porté plainte ?

- Non, ces histoires de viol ont toujours existé, avant on en parlait moins que maintenant,  c’étaient des secrets de famille, souvent les violeurs étaient des oncles ou des cousins germains, même des pères indignes  dépucelaient leurs filles, quelques fois de bonne heure, dans les cités de la Fontaine il s’en passait des belles, comme dans certaines fermes d’ailleurs. Et chez les gens de la haute, c’était le personnel qui trinquait, et  du temps des seigneurs, le maître avait le droit de cuissage sur les jeunes donzelles de son domaine... remarque cela existe toujours, sous une autre forme mais le résultat est le même.

- Quoi,  des viols en famille ?

- En famille moins qu’avant mais le reste...alors, ce Manitou, tu vois le boulot qu’un tel engin pourrait abattre ici.

Fernand changeait de conversation, décidément les tabous sont encore bien ancrés, je n’arrive pas à croire que des actes odieux soit passés sous silence.

- Des ouvriers en moins si nous l’achetons, cela ne te gêne pas?

- Je sais mais que veux-tu, c’est comme chez les paysans, avec les tracteurs, regarde les fermes qui disparaissent.

 



25/05/2011
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