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Le grand verger (suite)

Des problèmes pour m'endormir, le visage de l'homme des bois m'apparaît constamment, je le vois en Barbe-Bleue, en Landru, en Raspoutine, des hommes qui aimaient  les femmes au point de les tuer. Le nain barbu se dresse devant moi, ricaneur, menaçant, il se vautre dans le lucre avec des femmes nues parmi lesquelles je reconnais Alice et  madame Lagny...puis maman. J'aurais du le laisser mourir, l'ignorer, je sens que cet olibrius va modifier le cours de ma vie.

……………………………………………

 

Malgré une nuit agitée, je suis à l'heure au rendez-vous, Alice aussi, elle monte derrière moi sans dire un mot, nous traversons le village à une vitesse raisonnable ; depuis que le curé s'est permis, en début de sermon de fustiger les écraseurs pétaradants, je modère mes élans. Je suis le seul Brévillais à posséder une machine puissante et rapide, j'étais donc bien visé; quand je pense que grand-père se posait des questions.

- De qui parlait-il donc dans son prêche? certainement pas d'Olivier, ce garçon est prudent.

Nous franchissons le passage à niveau, Alice me crie un ordre dans l'oreille.

- A droite!

J'obéis à l'injonction,  pour Souvilly, il aurait fallu prendre à gauche, je m'attendais à ce genre de surprise.

-Prends la route de Prévocourt, allez accélère.

Elle veut de la vitesse tante Alice, elle va être servie, je coupe la route nationale en diagonale et aborde la départementale, la grimpette est avalée plein gaz, ma Norton arrache des graviers, rapidement nous arrivons sur le plateau où le vent de sud-ouest nous pousse, l'aiguille du compteur approche de  l'horizontale.

- Route de la verrerie.

Changement de revêtement, la route n'est qu'un vulgaire chemin caillouteux aux ornières creusées par les lourds chariots des paysans; si j'entre dans l'un des sillons profonds, c'est la chute assurée, une touchette et la roue avant devient incontrôlable, le centre est pire, les pas des chevaux ont formé des trous boueux et des clous vicieux abondent dans cette zone, mes pneus de vélo en ont souffert trop souvent, seule solution acceptable, les bas-côtés. J'opte pour celui de gauche, à droite, dans la descente vers la forêt, des ronces et des aubépines tendent leurs grappins dangereux, mon blouson de cuir s'en souvient, il porte des cicatrices qui m'avaient valu de sérieux reproches émanant de ma mère mais aussi de grand-père, c'est lui  qui m'avait offert ce splendide vêtement.                                          

Pourquoi cette décision d'aller en direction de la verrerie? je suis sérieusement intrigué et je ne doute pas un instant que cette destination a un rapport avec mon récit d'hier soir. Pourquoi aller chez le nabot alors qu'il doit être à l'hôpital, mort peut-être. Et cette réaction curieuse, et si ma tante, comme dans mon rêve... non impensable...j'ai de drôles de pensées, j'avais entendu dire que ce triste sire était un coureur de jupons, que durant la guerre, profitant de l'absence de nombreux hommes, il...non, je délire, un gnome affreux n'aurait jamais pu émouvoir une telle femme...et  maman, elle aussi était dans mon cauchemar.

 

Je ralentis encore, la descente est scabreuse, le chemin est de moins en moins pratiqué et l'herbe masque les irrégularités, nous passons sur le petit pont qui marque la limite entre les cultures et la forêt, ici commence le mystère et la peur, jamais je n'ai dépassé cette frontière, l'endroit a mauvaise réputation. Au début de la dernière guerre, un dépôt de munitions avait été installé dans le secteur, lors de la débandade de nos troupes, les obus  stockés avaient été détruits, certainement un beau feu d'artifice, seulement quelques beaux calibres avaient sauté en l'air et étaient retombés sans exploser, plus tard,  deux villageois avaient payé cher leur curiosité, l'un est mort et l'autre a perdu une jambe.

Impossible de continuer, les roues glissent et s'enlisent, nous mettons pieds à terre.

- La cabane du barbu est dans le coin?

- Oui, tu as deviné où nous allons... elle est à deux cents mètres à peine.

Nous nous enfonçons sous les frondaisons, le sentier est parsemé de flaques d'eau, une eau verdâtre où s'agitent une multitude de vers, ma passagère avait prévu ce passage délicat, elle est chaussée de bottes.

Sur notre gauche, des ruines apparaissent, envahies par une végétation qui reprend inexorablement ses droits; la verrerie a cessé ses activités fin du siècle dernier, l'instituteur nous avait montré des pièces fabriquées par cette usine, des verres et des carafes mal formées, une fabrication approximative, les gens n'étaient pas difficiles dans ce temps-là.

- Tu restes ici s'il te plaît, en cas de besoin je t'appelle.

Je me suis mordu les lèvres pour ne poser aucune question sachant que je n'aurais eu aucune réponse, je connais ma tante, elle fait des confidences uniquement quand elle le juge utile.

Nous venons de déboucher dans une sorte de clairière, en contrebas, se dresse une construction en bois, je m'attendais à découvrir un baraquement délabré, une bicoque en décomposition, au contraire le bâtiment a fière allure, ses murs sont composés de rondins peints en noir, le toit  est recouvert de plaques goudronnées ; le plus surprenant ce sont les fenêtres à croisillons agrémentées de bac à fleurs.  Sur le côté, se trouve un enclos grillagé où s'ébattent des volailles, plus loin, des chèvres broutent les branches d'un arbuste; mais c'est la cheminée qui attire mon regard, elle fume, des volutes  blanches s'élèvent dans l'air frais du matin, l'autre est donc déjà revenu, ou alors?



22/10/2010
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