Le bois des grives
Louis Simon a conservé sa verve coutumière, il est intarissable sur le sujet qui m’intéresse.
-Gauthier de Verlimont était un modèle du genre, à la fois vautour et crocodile, il tenait le dessus du panier de crabes.
L’ancien journaliste m’énumère de nombreux méfaits commis en toute impunité par l’ancien maire et conseiller général.
-Il tenait tout le monde, il avait une clique à son service, des individus peu recommandables qu’il utilisait pour les basses besognes, surtout en période électorale, il constituait des fichiers compromettants non seulement pour ses adversaires mais également pour ses supposés amis.
-Et avec les femmes, quel était son comportement.
-Il se croyait tout permis, avec les dames à son service, que ce soit au château, à la mairie et au conseil général, il avait décrété un droit de cuissage dans ses fiefs.
-Mais aucune n’a osé porter plainte ?
-Il me semble qu’une ou deux en ont exprimé le désir mais elles ont renoncé, probablement sous les menaces.
-Tu as cru à la culpabilité de Jean Calluis ?
-Notre collègue et ami Raymond avait quelques doutes, pour moi les preuves étaient évidentes, mais je ne suis pas spécialiste, tu as des éléments qui pourraient déboucher sur une révision du procès ?
-Je commence à en rassembler, j’ai l’impression que Jean Calluis est sincère.
-Je te souhaite bonne chance.
-Alors, vous avez trouvé votre route aujourd’hui.
Je n’ai pas encore compris comment je me suis égaré la fois précédente, j’avais probablement trop de choses en tête.
Le chemin qui mène à la ferme m’avait semblé en meilleur état que la première fois.
-J’ai un bon copain qui dirige une entreprise de travaux publics, il avait des camions de gravats provenant d’une démolition et il ne savait qu’en faire, un bon coup de rouleau compresseur, c’est un boulevard.
Je découvre Jeannette bien différente, toujours en pantalon, un chemisier rose échancré, légèrement maquillée et bien coiffée.
-Je reviens du marché de Valizey, j’y vais une fois par semaine, aucun commerçant ne vient jusqu’ici.
-J’aimerais qu’elle trouve un bon mari mais…
-Papa, je t’en prie…
-Je ne veux pas qu’elle sacrifie sa vie de femme pour moi.
Jeannette hausse les épaules et sort de la pièce.
-Dans sa jeunesse, elle ne m’a connu qu’en prison, vous imaginez pour une gamine, le traumatisme, quand je suis sorti, elle a absolument voulu rester avec moi, pour rattraper le temps perdu disait-elle et puis elle se doutait que seul, je n’aurais pas supporté la vie.
Jean Calluis se tait, il a le regard fixé vers la fenêtre, vers les près qui ondulent jusqu’à l’horizon barré par la masse sombre d’une forêt.
-J’ai compulsé nos archives vous concernant.
-Votre collègue avait été correct, il paraît même qu’il a reçu des lettres de reproches de la part de la famille de Verlimont et des rares amis de Gauthier.
-C’était un bon journaliste, ce n’est pas notre rôle de prendre parti, nous ne sommes que des témoins.
-Pas seulement, je sais que vous avez déjà ressorti d’anciennes affaires judiciaires et souvent en donnant une nouvelle orientation…Mais pour moi, c’est trop tard, j’ai payé pour un crime que je n’ai pas commis, je garderai cette plaie ouverte jusqu’à la fin de mes jours et les quinze ans passés en maison d’arrêt ne peuvent s’oublier.
-J’imagine.
-Heureusement, j’ai su m’occuper en prison, j’ai beaucoup lu, je me suis intéressé à l’histoire, mais surtout aux coulisses de l’histoire, que de complots et autres manigances pour prendre ou garder le pouvoir, on a rien inventé, et puis l’espoir de revoir, libre, ma femme et fille, de vivre avec elles.
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