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Le grand verger (suite)

- Tu as un problème mon grand, tu n’as pas l’air dans ton assiette?

J’avais envie d’oublier la chambre verte et le reste, je raconte ma découverte au bord de la route, le paria presque mort, ma démarche à Prévocourt, le docteur.

- Mon Dieu, ce n’est pas possible, et c’est toi qui ...

……………………………………

Alice est blême, je ne l’ai jamais vu dans cet état, même aux pires moments de la guerre, quand nous étions terrés dans notre cave voûtée et puante pendant que les avions Anglais bombardaient  la gare et la ligne de chemin de fer, ou que des vagues de forteresses volantes rasaient le toit du château,  elle qui nous remontait le moral alors que ma mère égrenait son chapelet en marmonnant des prières, sursautant à chaque explosion, baissant la tête à chaque passage de bombardier.

- Ne parle à personne de ce... de cette... à personne tu m’entends, changement de programme demain...tu m’emmènes à Souvilly, chez Marguerite, des mesures à prendre pour une robe qu’elle doit me confectionner, à sept heures tapantes, compris, prépare ta machine, Béa n’est pas libre demain matin… Je regrette de ne pas avoir appris à conduire…

 

Inutile de questionner, cette décision est incompréhensible, que vient faire la vielle couturière du village voisin dans cette affaire? Est-elle liée à l’homme des bois? Je ne retiens que des choses agréables dans cette envie soudaine, tout d’abord prendre ma tante sur mon engin est un plaisir rare mais incomparable, elle ignore la poignée pour se tenir,  m’entoure de ses bras, colle sa poitrine contre mon dos, se penche avec moi dans les tournants, une  harmonie parfaite. Et puis, pour une expédition chez madame Sauce, je suis toujours partant, c’est chez elle que j’ai découvert le corps féminin et ses courbes appétissantes, tout d’abord le mannequin sans tête dont je caressais les rondeurs en cachette, puis la vision de femmes en chair et en os, surtout en chair comme  l’appétissante madame Lagny, l’épouse du receveur des postes; elle avait toujours des soutiens-gorge trop justes, bien souvent un sein s’échappait de sa cage au moment du déshabillage, elle poussait des gloussements en me regardant et retardait la remise en place de l’échappé.

- Veux-tu fermer les yeux petit chenapan, tu es bien comme ton papa.

Quand j’ai eu mes douze ans, je n’étais plus autorisé à entrer dans la salle de couture, à mon grand regret les clientes étaient devenues pudiques à mon égard, je devais rester dans le hall d’entrée et l’on me claquait la porte au nez.  Il me fallait grimper sur une chaise pour essayer de voir à travers le châssis vitré,  je craignais d’être surpris par monsieur Sauce que j’entendais tousser dans la cuisine jusqu’au jour où il m’avait invité à le suivre.

- Tu vas te casser la binette mon petit gars, viens,  je vais te montrer quelque chose, mais avant cela, tu dois me promettre  la plus grande discrétion.

J’avais suivi le bonhomme  et avais collé mon oeil contre une minuscule fente de la cloison, pour la première fois je voyais ma tante presque nue, j’avais été bouleversé.

- Une sacrée belle femme l’Alice.

Dans un premier réflexe, j’étais furieux qu’un vieux tousseur puisse jouir d’un spectacle volé, puis je l’avais laissé se régaler, éprouvant, en définitive,  une certaine fierté et puis les fois suivantes, j’avais eu la chance de voir d’autres femmes, nous nous partagions le dessert. Cette complicité allait, à la surprise générale, me faire pleurer  lors des obsèques de monsieur Sauce.

- Comment Olivier, tu regrettes ce vieux cochon.

Tante Alice avait eu un sourire narquois, je me demande si elle n’avait pas reconnu mon oeil bleu derrière les lattes de bois disjointes.

 

Maman hausse les épaules quand je lui annonce le projet de promenade matinale.

- De si bonne heure? Marguerite sera encore couchée, elle veille tard, en voilà une drôle d’idée, enfin, avec ta tante il faut s’attendre à tout...

Je dois faire un effort pour taire les événements que je viens de vivre, Alice m’a bien recommandé de n’en parler à personne et son insistance m’avait fait comprendre qu’il  fallait surtout ne pas en parler à ma mère. Pour quelles raisons?

Des problèmes pour m’endormir, le visage de l’homme des bois m’apparaît constamment, je le vois en Barbe-Bleue, en Landru, en Raspoutine, des hommes qui aimaient  les femmes au point de les tuer. Le nain barbu se dresse devant moi, ricaneur, menaçant, il se vautre dans le lucre avec des femmes nues parmi lesquelles je reconnais Alice et  madame Lagny...puis maman. J’aurais du le laisser mourir, l’ignorer, je sens que cet olibrius va modifier le cours de ma vie.



20/10/2010
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