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La nymphe sanguinaire

Mon premier papier fait réagir monsieur Magien, il me convoque dans son bureau, ce qui est assez rare, habituellement c’est lui qui nous rend visite.

Qu’allais-je entendre ?  des reproches ou des conseils, une certitude, je n’attendais aucune félicitation.

- Vous avez constaté, l’ascenseur est en panne.

- J’ai emprunté l’escalier.

- C’est bien, voyez je n’ai plus ce courage, vivement les vacances de Noël, j’ai besoin de récupérer.

Pauvre homme, je vais le plaindre, samedi dernier, il était au dix huit trous de Bellevue, j’ai des informateurs sur place.

- Je vous avais dit d’être relativement sobre mais vous auriez pu en rajouter...ces trois morts près de cette source mystérieuse, un bon sujet, vous allez voir que d’ici peu certains vautours vont tournoyer au-dessus de Mauzieux... il m’est donc impossible d’apercevoir la jolie fille, avec mes antécédents, dommage, ne ratez pas le 15 août prochain.

 

 

Je me fais remarquer dans Mauzieux, dès que je pousse la porte du Café de la Vallée, le silence s’installe dans la salle, les nombreux clients suivent ma progression vers le comptoir, j’intrigue, je dérange.

Je m’assois sur un tabouret et les conversations reprennent, mais en sourdine, ce que disent les autochtones ne doit pas être entendu par les étrangers.

Le patron, un petit bonhomme au visage lunaire et aux yeux globuleux tarde à me poser la question traditionnelle. J’hésite, si je commande ma boisson habituelle, comme souvent, je vais entendre des ricanements dans mon dos, je commande un café.

Le poivrot de service vient vers moi en louvoyant ; je m’attendais à cette intervention, c’est la tradition dans tous les troquets, ce genre de personnage aime bavarder avec les nouveaux venus. L’homme sent la vinasse mais il tient debout, il doit avoir une réceptivité alcoolique au-dessus de la moyenne.

- Alors monsieur le journaliste, vous revenez voir les bêtes curieuses, regardez-nous bien, nous sommes une espèce en voie de disparition, comme les ours de Russie et les pandas d’Asie. Je parie que vous attendez une quatrième victime, prenez garde, l’assassin pourrait s’attaquer à un monsieur de la ville tel que vous.

Un client se lève et approche.

- Tu laisses monsieur tranquille, il fait son boulot. Excusez-le monsieur Laurent, c’est un mal élevé.

L’intervenant doit avoir dans les cinquante ans, grand, large, un barbe grise en broussailles, sa chemise à carreaux lui donne une allure de bûcheron Canadien alors que sa casquette rouge semble nettement trop juste.

- Venez à notre table, vous serez moins dérangé.

J’accepte et me retrouve avec trois autres attablés.

- Moi c’est Robert, Bob pour les copains, voici Secundo, chauffeur chez les Galley, Etienne est menuisier,  Sylvain le bien nommé, agent des eaux et forêts, moi je  bosse chez Garassaux, je dirige le chantier de grumes, je vous ai aperçu faire le tour de la boutique avec Julien dernièrement.

Une question me brûlait les lèvres, Robert m’avait appelé par mon prénom, ce devait être un vieux lecteur, je signais quelques billets ainsi il y a quelques années.

- Mon père lisait votre journal de long en large, le pauvre homme est mort l’an dernier, j’peux vous dire que vous avez perdu un bon client, moi j’ai pas le temps de lire, juste le foot et le tiercé, quoique en ce moment avec la déveine que j’ai.

J’examine ses acolytes, un bel échantillonnage, ces gaillards devraient éclairer ma lanterne.

- Vous avez admiré l’installation à la scierie, sacré investissement, des millions que ça a coûté, tous ça pour fabriquer des chômeurs, bien gentil les machines qui font tout rien qu’en appuyant sur des boutons, mais demandez à Etienne si il fabrique des meubles pour les ordinateurs de merde.

- Mon patron vous a guidé dans les bois.

Secundo vient de prendre la parole.

- Et comment avez-vous trouvé notre fameuse fontaine ?

- J’espérais voir la nymphe.

- Une fois par an seulement, mais vous semblez vous moquer de cette légende, elle fait partie de notre patrimoine.

Etienne s’exprime correctement, je m’adresse à lui.

- Vous croyez à la malédiction, vous pensez que les trois morts s’inscrivent dans cette perspective.

- Attendez monsieur Laurent, si vous parliez la langue Française, celle de Mauzieux, nous on est pas des intellos.

Le gros Bob est le chef incontesté de la petite bande, c’est par  lui que je dois passer pour poser des questions.

- Pour moi, c’est louche, la mort de Fernand est peut-être un accident mais pour les deux autres... quoique, un roublard comme le vieux bûcheron, se laisser surprendre.

- Il braconnait, il gênait les chasseurs.

- Et le père Garassaux, il gênait quelqu’un d’autre.

- Qui par exemple.

- Vous êtes bien gentil, monsieur le journaliste mais ici, moins on en dit, mieux on se porte, c’est peut-être votre travail de fouiner mais ne compter pas sur nous pour vous rancarder, l’Albert faisait ce qu’il voulait, il ne courait pas après ma femme alors.

- Aucun danger, avec la tronche qu’elle a.

Bob tape sur la table.

- Ta gueule Secundo, la tienne est gironde je suis d’accord, mais tu portes de belles cornes, c’est tout juste si tu passes sous la porte d’entrée, alors tant qu’à choisir...

Je crains le pire et je tente un repli.

- Restez monsieur Passy, ces deux zigs s’engueulent sans arrêt mais ils s’aiment bien...moi j’ai un avis concernant Fernand Maillard, il possédait probablement un beau magot, il bossait comme un dingue, n’avait plus de femme, pas de bagnole, il mangeait les légumes de son jardin et les fruits du verger de ses voisins, ramassait les champignons, chassait les escargots et c’est vrai qu’il tendait des collets et des pièges. Il ne faisait pas confiance aux banques, il gardait le fric chez lui ou dans une planque.

- T’as raison Etienne, il a été zigouillé pour son pognon...et le vieux par un mari jaloux.

- Tu vois le brave receveur des postes faire un croche-pied à Albert, ce gringalet n’aurait pas pesé lourd.

- Un rival, la belle Elisa a tellement succès, toi aussi tu tournes autour de ses jupes.

- Elle est trop souvent en pantalon.

C’est ce que j’espérais, cette conversation un peu hachée m’apportait plusieurs indices, Lemarquis manquait à l’appel mais je sentais qu’il ferait partie de la suite.

 En tout cas, l’histoire de l’ancien maire et de l’épouse du receveur me semble plausible et intéressante, les conflits passionnels alimentent ma rubrique qu’ils partagent avec les affaires d’argent.

- Et André Lemarquis.

Sylvain n’avait encore rien dit, il se tournait vers Etienne.

- Tu es bien placé pour en parler.

- C’est vrai, je connais bien la famille, j’ai travaillé deux ans à la manufacture Lemarquis avant d’entrer chez Bannard, André, un caïd de la marqueterie, il avait été à bonne école, le jeune morveux qui le remplace ne pourra jamais arriver à sa hauteur, je me demande si Isabelle tiendra le coup.

- En attendant, le remplaçant ne se contente pas de remplacer André à l’atelier, il s’est glissé aussi dans le plumard de la veuve.

Les quatre gaillards sont unanimes, la veuve Lemarquis n’est pas de bois.

- C’est elle qui choisit son mâle.

La pulpeuse Isabelle m’avait semblé digne et réservée, je ne dois pas être à son goût...

J’avais suffisamment de renseignements pour le moment, et puis mes informateurs se déroutaient du sujet, parlant de la vertu ou de l’absence de vertu des dames du village, à les entendre, sauf leur femme est fidèle, même Secundo soutient que les autres se trompent sur son état.



16/10/2011
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