Les yeux de la lune
C’est seulement vers quatorze heures que des véhicules américains entraient dans Brécourt, ils n’étaient pas nombreux, une jeep, deux engins à chenilles et deux camions, le gros de la troupe continuait à passer sur la route nationale, nous entendions toujours le même grondement. Les soldats venaient prendre livraison de prisonniers, en effet, les Allemands qui gardaient les Polonais avaient été désarmés dans la nuit, ils n’avaient opposé aucune résistance paraît-il. Par contre leur chef était introuvable, il avait probablement accompagné ses concitoyens en déroute. Seuls les deux engins chenillés restaient dans le village, les huit soldats étaient choyés par la population, les filles les entouraient, Jacqueline n’était pas la moins prolifique d’attention, ayant jeté son dévolu sur un grand jeune homme blond aux yeux bleus, la réplique parfaite d’un des gardiens allemands pour qui elle avait eu des faiblesses. Des bouteilles de vin étaient ouvertes, chacun buvait au goulot, cette débauche me déplaisait, je montais à la ferme.
- Tu as vu ces imbéciles, écoeurant.
Je croisais Edouard, il me désignait une voiture noire garée devant le café de la gare, elle était recouverte d’inscriptions.
- Mais ce sont des maquisards, c’est marqué, FFI.
- Des chouettes maquisards, les vrais ce sont ceux que nous avons connus dans la forêt, ceux-là sont des guignols, ils font les marioles parce qu’il n’y a plus rien à craindre.
Mon oncle était furieux, je ne l’avais jamais vu dans cet état.
- Tu les connais ?
- Il me semble avoir reconnu un gars de Sonval, un foireux qui faisait du marché noir.
Nous venions d’entrer dans la cour de la ferme quand la voiture noire arrivait sur nos talons, cinq braillards dont l’un brandissait une mitraillette sortaient du véhicule comme des diables sortant d’une boîte.
- Alors bouffeur de frites, sale planqué, fini la belle vie, allez avance, toi aussi morveux.
Les hommes nous poussaient vers la maison, Simone était effarée en nous voyant arriver, Pierre-Louis hurlait.
- Décroche tes jambons et tes saucisses, nos camarades ont besoin de ravitaillement.
Je profitais d’un moment d’inattention pour m’enfuir, j’allais rejoindre grand-père dans le cellier où il remplissait ses tonneaux de fruits.
Il comprenait rapidement la situation, il extirpait, caché sous une bâche, un sac noué par une ficelle. D’un coup de couteau, il ouvrait le sac et sortait un fusil de chasse.
- Viens Christophe, on va s’amuser.
Le temps d’arriver dans la cuisine, grand-père avait introduit deux cartouches dans son arme.
- De la chevrotine, c’est ce que ces salauds méritent.
Les jambons et les saucisses étaient posés sur la table, les cinq gaillards avaient ouvert une bouteille de vin et ils buvaient au goulot à tour de rôle.
- Les mains en l’air.
La bouteille échappait des mains d’un petit barbu et explosait sur le carrelage.
Les cinq fiers-à-bras levaient les mains au ciel, ils n’en menaient pas large.
- Je ne vous jamais vus dans la forêt vous autres, quand j’allais ravitailler les vrais maquisards, vous n’êtes que des pilleurs, foutez-le camp d’ici et en vitesse, sinon je vous prends pour des sangliers.
La retraite était rapide et désordonnée, Edouard avait récupéré la mitraillette.
- Rends-moi mon flingue, hurlait le plus grand.
- Tu peux toujours courir, l’usage que tu en fait, dégagez.
Des poings menaçants sortaient des vitres, grand-père tirait les deux coups en l’air pour saluer le départ de la clique.
Simone était affolée.
- Ils sont capables de revenir et de nous faire du mal.
- Des foireux je te dis, maintenant c’est moi qui suis armé.
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