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Un silence de sieste plane sur la grande bâtisse à la façade immaculée.

L'accueil est immédiat, une "armoire à glace" me toise avant que je monte l'escalier monumental.

Je présente mon coupe-file, indique le motif de ma présence, le visage du cerbère s'éclaire un peu.

- Mademoiselle Sadoul se trouve dans le salon du bas, porte vitrée à gauche.

Carole m'attendait et surveillait mon arrivée mais elle reste assise, de trois-quarts dos, fixant une grande fresque allégorique prônant le repos, la farniente sous toutes ses formes.

- Suggestif, de quoi vous mettre en condition de détente, bonjour Carole.

- Bonjour m... Laurent... plus je regarde cette œuvre et plus je lui trouve un sens négatif, regardez ces personnes dans des positions de demi sommeil, elles expriment une certaine tristesse, un ennui; se reposer à la suite d'un effort, d'un travail intense, d'une  activité sportive ou... d'ébats plus intimes c'est très agréable, quitter son lit pour s'asseoir dans un fauteuil ou sur un banc, quitter la salle à manger pour faire la sieste, c'est un régime qui me déprime, demain je regagne Montclair et ma ferme préférée.

Nous sortons et marchons d'un bon pas vers un bouquet d'arbres.

- Vous n'avez pas le rythme de la maison, ici c'est la nonchalance.

- Cette fameuse dédicace qui vous a aiguillé vers moi.

- Tenez, voici le bristol joint au bouquet.

Je lis: de la part d'un homme de lettres qui se sent coupable.

- Avouez que le message est clair.

- Vous me connaissez mal, je ne me considère pas comme un homme de lettres, tout juste un rédacteur d'articles destinés au grand public.

- Vous êtes parfaitement lisible... je vous parlais de lecture, combien de livres ai-je commencés sans dépasser la dixième page, des soi-disant écrivains modernes parfaitement indigestes ou des écrivaillons d'une vulgarité nauséeuse; finalement, avec ce repos forcé, j'ai retrouvé avec délectation les grands classiques de la littérature Française ou étrangère.

C'est bien Carole Sadoul, la paysanne que j'avais rencontrée lors de ma visite à la ferme de la Rosette? je la dévisage pour m'en assurer; c'est vrai que sa voix est sucrée, ses phrases bien enrobées, elle me fait penser à une dragée, avec la douceur de  ses intonations, l'amertume de ses propos; du coup, j'oublie son nez busqué, son menton en galoche, ses cheveux trop courts.

- Vous avez fréquenté un homme qui correspond mieux que moi à cette définition?

- Justement, j'essaye de me souvenir... et si c'était... le receveur des postes.

Elle rit de bon cœur.

- C'est son style, je n’avais pas pensé à lui, je m’étais focalisé sur vous... l'imbécile... oh pardon, je parle du receveur... je suis injuste...je suis tout de même heureuse que vous soyez avec moi, finalement il a fait une bonne action, je lui pardonne ses bêtises...

Pensait-elle que j'allais lui poser des questions sur ce quiproquo? elle se tait, attendant que je prenne la parole.

- Notre rendez-vous raté, qu'aviez-vous de si important à m'apprendre?

- Mais vous le savez... le policier... il ne vous a rien dit?  ah! le petit menteur... inutile de rencontrer monsieur Passy, je passe la journée avec lui, je lui ferai part de votre témoignage et de  vos suppositions... il va me le payer... asseyons-nous voulez-vous.

- La balle qui a abîmé votre épaule, pour vous faire peur ou ratage?

- Merci pour le... ratage, sur le coup j'ai pensé que cette agression avait un rapport avec l'affaire que vous aviez soulevée, seulement, personne n'était au courant de notre future rencontre, absolument personne.

- Si, votre sœur.

- Mais non, elle avait un autre chat à ...faire ronronner.

- Loraux parlait d'un autre motif.

- Cela il s'est empressé de vous le rapporter, il me plaît de moins en moins ce Loraux, heureusement qu’il a laissé la place aux gendarmes, ils sont plus courtois, du moins ceux qui sont venus me questionner, un capitaine et un...jeune lieutenant...très sympa.