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Un second souffle

- Monsieur Demoulin, téléphone pour vous, une dame.

Simone n'a pas ajouté: encore, le regard qu'elle a lancé à Patricia était dépourvu d’aménité, les femmes comprennent encore plus vite que nous.

C'est Gisèle, elle demande à me voir.

- Fin d’après-midi, cinq heures, cinq heures et quart.

Je questionne la tenancière du bistrot, elle se défile, refuse de me donner le motif de cette... convocation.

 

Je suis à l'heure, Gisèle est seule dans son troquet, campée derrière son comptoir. Quelles sont ses intentions ? si elle renouvelle son offre, je prends date, une envie de changer de catégorie, certain que la patronne du troquet doit avoir un répertoire intime plus étendu que la patronne du restaurant, et puis la sémillante Patricia, son récit pathétique et son arsenal de séduction m’ont émoustillé.

Je me fais du cinéma, Gisèle m'explique.

- Le père Manaux veut vous parler... hier soir il m'a dit: téléphone donc au ptiot du Roger  Demoulin, demande-lui de venir bavarder avec moi le plus vite possible, je ne lui ai pas tout raconté la dernière fois.

J'attends à peine cinq minutes, le vieux paysan arrive; il a bien du mal à se traîner l'ancien.

- Non pas de pinard aujourd'hui, sers-moi donc un verre d'eau, de l’Evian ou de la Vittel.

- C'est grave dites donc, boire de la flotte!

- T’occupe la belle... Assieds-toi Vincent Demoulin.

Le père Manaux s’assied en face de moi et pose ses coudes sur la table, je m’attends à des confidences.

- Je voulais te reparler de Cécile Fontaine, de ce jour de chasse pas comme les autres... faut dire que j'ai vu le René, René Louvier, dans son hospice, je tenais à  revoir ce vieux compagnon avant que je casse ma pipe... il n'est pas si malheureux que ça finalement, faut pas croire que l'hospice est une prison, les hommes sont rares et mieux traités que les bonnes femmes, les jeunes dames qui le soignent sont gentilles comme tout avec lui, il a des heures de sorties, il peut faire un tour au café avec ses copains, en hiver il est bien au chaud, pas comme moi, j'dois pleurer pour avoir une couverture supplémentaire ou  un radiateur électrique en appoint et ma radine  de bru surveille sans arrêt la consommation...pour la table n’en parlons pas, ils ont les repas à l’heure et bien équilibrés, il n’y a que le pinard qui est rationné mais on s’habitue...

Mon interlocuteur avale le verre d’eau en fermant les yeux.

- Alors j' lui ai parlé de toi au René, j' lui ai dit que t'  était dans le village, que tu cherchais à connaître ce qui s'était passé exactement dans la forêt, il m'a conseillé de dire la vérité... il a raison, nous serons bientôt au grand jardin et c'est pas au curé que nous allons nous confesser, ni lui ni moi n'avons été son ami, le père bon Dieu existe peut-être mais les curés sont des hommes aussi, certains pires que les autres...

Le vieux, soulève sa casquette et fourrage sa crinière abondante, en voilà un qui n’a pas perdu un seul tif, qui va mourir coiffé, probablement qu’il n’a jamais utilisé de shampooing, ce décapant qui doit être la cause de nombreuses calvities.

 - Ce que je peux t' dire, c'est  que ton père n'était pas dans le coup , la fille Fontaine est bien venue rôder autour du chalet, nous l'avions aperçue avant de sortir; quand nous sommes aller nous poster, nous pensions qu'elle  était redescendue; Jeannot était au premier poste, le plus près du chemin de Boisaumont, il a vu revenir la belle Cécile, elle lui a demandé où était ton père, c'est bien lui qu'elle cherchait, elle en était toquée; la pauvre fille était frigorifiée, elle était en petite robe alors qu’il gelait, elle avait dû se sauver de la maison,  le Jeannot m'a appelé, moi j’ai demandé au René de m’accompagner, comme je t'ai dit la dernière fois, nous avions un petit coup dans l'aile,  à cause du pinard, nous l'avons  conduite vers le chalet en lui racontant que ton père était  dedans, elle nous a suivit sans crainte, voilà... et nous avons fait des conneries...

- Tous les trois?

- Surtout le Jeannot, le René après et moi pour finir... mais en vérité, j' n'ai pas vraiment, j’t’assure... tu vois ce que j' veux dire, j'avais tout de même des scrupules, malgré mon envie, déjà rien qu’à l'idée de passer derrière les deux autres et puis je trouvais qu'on était tout de même des dégueulasses... plus de trente cinq ans que je traîne ce boulet... si on savait que la conscience  existe vraiment, que les remords vous restent dans le ciboulot pour toujours, vous font un nœud à l’estomac, on éviterait de faire de pareilles bêtises,  le René c'est  encore pire que moi, depuis qu'il est à l'hospice il a le temps de ruminer, et puis surtout il pense que c'est lui le père de la belle Capucine, quelques airs de ressemblance, tu comprends.

Le vieux semble sincère et ses révélations confortent mon opinion.

 - Nous avons repris nos postes et continué la chasse, comme si il ne s'était rien passé, la pauvrette s’est sauvée; ensuite, au moment du regroupement,  le Jeannot s'est vanté de l'affaire devant les autres,  toujours sa grande gueule; ça a failli mal tourner, Roger voulait flinguer le boucher, il était dans une rage folle, jamais vu  dans un tel état, c'était un calme habituellement, nous avons du le désarmer... plus tard,  beaucoup plus tard, le Jeannot lui a dit qu'il n'était pas le seul a avoir abusé de la jeune femme, ton père voulait savoir qui étaient les autres, nous ne lui avons jamais dit mais tu penses bien qu’il s'en est  douté...

Ces aveux sont un peu tardifs, ces trois salauds auraient avoué leur forfait aussitôt, je n'aurais pas été refoulé par Capucine comme si j'étais un paria; c'est elle qui aurait du recueillir ces confidences, Adèle éventuellement.

- Il n'ira plus loin le grand-père, vous avez vu, il a demandé de l'eau, encore un client qui va disparaître, je les connais bien mes braves paysans, je les vois décliner, s'éteindre comme des bougies.

- Mais vous avez des jeunes qui peuvent les remplacer, celui qui vient de quitter le comptoir par exemple.

- Ah celui-là, ne m'en parlez pas, vous ne l'avez jamais rencontré? pourtant sa mère travaille à hôtel, elle fait un peu de ménage, des extras.

- Une dame brune assez forte.

- C'est ça, son gars est un sacré loustic, il lui en fait voir de toutes les couleurs, je me demande ce qu'il trafique en ce moment, il vient de se payer une belle moto, avec quel argent? il travaille comme apprenti chez un menuisier, la paye doit être bien maigre.

Une belle moto ? Voilà un suspect tout trouvé concernant la disparition du magot de Simone.



28/11/2012
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