Les Planchettes à la une
Le calme relatif qui règne sur notre région m'incite à reprendre le chemin de Montclair, le rapport confié par le chef de brigade laisse apparaître une évidence, il confirme ce que les dames des Planchettes nous avaient déclaré, pendant les quarante huit heures précédant sa mort, Morel se comportait de façon étrange, ses agissements ne correspondaient plus à sa façon de vivre habituelle, et si c’était bien lui le gagnant du fameux quinté ? il aurait été tué pour neuf cent mille francs, c’est tout à fait plausible, reste à démasquer le ou les assassins.
Après deux articles consacrés l’un directement au décès tragique de Casimir Bielinski et l’autre sur les dangers que représentent les passages à niveau non gardés, ma présence au moment du drame justifiant cette attention particulière, j'avais rédigé un autre papier moins ciblé où je revenais sur l'accident de Morel, sur le destin tragique de ces deux hommes. Je laissais planer une interrogation sur chacun des deux cas, le possible suicide de Casimir et l’éventuel crime dont Bébert aurait été victime. J'indiquais que ces malheureux n'ayant aucune descendance, j'allais chercher à comprendre, mettant l'accent sur leur comportement inhabituel avant leur mort. En fait, je mettais en place un scénario qui me permettrait de questionner sans intriguer; mon patron, monsieur Magien n'avait réagi qu'à la présentation du dernier article.
- Quelle idée curieuse d'aborder ces deux faits divers presque sur un plan personnel, vous impliquer ainsi ; concernant le suicide, vous savez que c’est encore un sujet tabou dans notre société mais il est vrai que certains accidents difficilement explicables cachent peut-être une autre vérité, une sortie de route n'est peut-être qu'une sortie de vie volontaire, vous allez remuer des consciences, réveiller des doutes... mais c'est bien, c'est également notre mission de journaliste.
Notre rédacteur est plus lucide.
- Toi, je commence à te connaître, tu as une idée derrière la tête, tu veux débusquer un éventuel assassin, finalement je me demande si nous allons te garder, tu outrepasses trop souvent ton rôle de journaliste, je te recommanderai à quelques confrères spécialisés...nous verrons quand tu auras trouvé une conclusion à cette affaire de petits chevaux et de gros sous...
Avant d'aller interviewer quelques personnes, je passe à la gendarmerie, je dois bien cette politesse à l'adjudant Monneret.
- Vous tombez à pic, je voulais vous contacter, entrez...hier matin, un coup de fil anonyme, l'un de mes hommes a enregistré le message, écoutez.
Le gendarme met un magnétophone en route; une voix nasillarde, déformée annonce: (Quasimodo n'a pas été victime d'un accident, son moteur a été saboté, questionnez donc son voisin)
- Nous avons suivi le conseil, avons appris que monsieur Bielinski avait quelques problèmes avec sa voiturette, démarrage difficile, calage intempestif, et ce depuis quelques jours; qu'il soit resté en rade en plein milieu de la voie n'est donc pas surprenant mais cela ne prouve aucunement un sabotage; toutefois, ce monsieur avait de mauvaises habitudes, probablement pour économiser de l'essence, il coupait le moteur dans les descentes, minimes soient-elles, comme celle qui précède le passage à niveau.
- Une remise en route difficile et il reste planté, son handicap ne lui laisse pas assez de temps pour sortir... mais il fallait être sûr qu'il se pointe à l'heure de l'autorail, était-ce une habitude?
- D'après nos deux copines des Planchettes, non, il leur rendait visite à des heures différentes... seulement l'accident aurait pu se dérouler différemment, les pentes sont nombreuses à Montclair, pour soulager ses freins, il passe une vitesse, embraye, le moteur ne part pas, la boîte saute et il fait la culbute...dixit un garagiste de mes amis.
- Impossible d'expertiser les restes de son engin?
- Vous parlez, pulvérisé, vous l'avez constaté vous-même.
- Peut-être un plaisantin ce correspondant, c'est fréquent.
- Attendez la meilleure, je viens d'apprendre que début novembre, un soir, un message ressemblant à celui-ci a été reçu par le planton de service, le gendarme Catelli, même voix d’après lui, mais le message n’avait pas été enregistré, le correspondant déclarait que Bébert avait été matraqué à mort, possible que ce soit un... farceur mais cette similitude m'inquiète.
- Et si Casimir Bielinski avait été supprimé parce qu’il en savait un peu plus long sur l’affaire Morel ?
- Ce téléphoniste réagit tardivement, il attend une quinzaine de jours.
- Vous n’avez pas de mouchard qui permet de connaître le numéro d’appel ?
- Si, l’appel émanait d’une cabine téléphonique naturellement, pour le premier aussi...oui je disais ce décalage ?
- Possible qu’il recueille les informations chez une autre personne, le lien entre les deux disparus.
- A quoi ou à qui pensez-vous?
- Carmen ou... plutôt Inés.
L'adjudant Monneret pique un fard, j'enfonce le clou.
- Jolie la nièce.
- C'est vrai, dommage qu'elle vive dans cette espèce de bouge, j'avoue que je suis sensible à ses charmes.
- N'ayez aucune honte, c'est humain, elle est effectivement jolie et attirante.
- Merci...il se pourrait que se soit elle le fil conducteur, je ne vois qu'une solution pour le savoir, vous pourriez vous dévouer, moi je suis marié et fidèle... Bravo pour l'introduction dans les pages de votre journal, vous avez trouvé un alibi, je me demandais comment vous alliez justifier vos investigations; pour les faciliter, j'avais l'intention de vous adjoindre l'un de mes hommes, et puis réflexion faite, j'ai pensé que l'uniforme serait peut-être trop voyant; mon adjoint, Langlois, est en congé, il serait d'accord pour vous accompagner, en civil bien entendu; en outre, à la brigade depuis huit ans, il a appris à connaître les mœurs des indigènes, vous pourrez lui demander des tuyaux...toujours notre accord, pour le moment ne parlez pas de nous, il nous faut attendre une réponse de ma hiérarchie, je vais rassembler le maximum d’éléments pour qu’une enquête criminelle soit ouverte...pour les deux affaires... je suis comme vous, bien l’impression qu’elles sont liées...qu’avez-vous pensé des rapports que je vous ai confiés ? ce sont tout de même les bases d’une affaire peu claire, et tout cela a été occulté, je me demande si mon collègue n’a pas... Remarquez, J’ai presque agi de la même façon, et pour Casimir ? l’accident est tout de même évident, la première réaction est toujours simpliste, c’est plus tard que des doutes peuvent s’infiltrer dans votre esprit...parfois trop tard.
- Un bémol, cette histoire de mausolée de luxe pour la tombe de sa mère, elle revenait chaque année à la surface.
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