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Un été ordinaire

Le vieux toubib sortait de la chambre.

- Un choc, il aurait subi comme un choc émotionnel.

- Un choc? Provoqué par qui, par quoi mon Dieu?

La petite sœur était en larmes.

- Vous permettez, je peux emprunter votre téléphone, il faut l’emmener d’urgence à l’hôpital.

Marina sortait de la chambre à son tour, je devais avoir une drôle de tronche car elle me fixait intensément, oserais-je lui avouer que je suis responsable de cet accident?

Une délégation ouvrière  conduite par Fernand venait aux nouvelles.

- Allez reprendre votre travail,  tout est prétexte pour arrêter les machines.

Ma tante et son cynisme matérialiste avaient raison des interrogations, les ouvriers retournaient à leur poste.

L’ambulance venait de tourner en bas de la côte, mon père était en route pour la clinique.

- Que s’est il passé entre vous?

J’avouais tout à Marina.

- Son orgueil en a pris un sérieux coup et pourtant il n’a aucun droit d’être jaloux.

 

 

Je venais de vivre une période à la fois pénible et un peu surréaliste, la mort de mon père ne m’avait  touchée que superficiellement, il était déjà mort depuis longtemps pour moi, depuis que je savais qui il était réellement. Toutes les simagrées autour de son cercueil m’avait fait penser à une pièce de théâtre mal jouée, où les acteurs ne parviennent pas à convaincre le public de leur sincérité. Les excès de douleur étalés par la taupe grise ne trompaient personne et surtout pas moi, l’oraison funèbre du curé et les discours des politiques sonnaient faux, les allures apitoyées des habitants de Calaumont, les mines de chiens battus exposées par les ouvriers de la scierie, les reniflements de Simone, rien de tout cela ne me touchaient. Je me sentais plus proche de la dignité de Marina et du soulagement visible de Sylvette. Mon attitude déplaisait à  tante Odette, ses regards furibonds durant la cérémonie au cimetière promettaient une explication.

- Une honte, un comportement indigne, crois-moi tout le monde a remarqué l’absence de peine exprimée, c’est toi le responsable de cette disparition brutale et tu restes de marbre, pire tu sembles être heureux, tu es possédé du démon.

- Et tu penses que je suis le responsable de sa mort ? Figure-toi ma chère tata que j’étais persuadé que cet accident regrettable était de ta faute.

- Impertinent à présent, responsable de la mort de Pierre-Louis, moi, mais tu te rends compte de ce que tu oses dire, et pourquoi donc ?

- Si je te parle de billets de banque amassés après  transit dans un lieu douteux, si j’en avais parlé à ton frère, crois-tu que cela lui aurait fait plaisir.

- Voyou...

- En tout cas, je me demande comment tu va faire pour écouler cet argent, celui-ci doit avoir une odeur persistante plutôt désagréable.

Je crois que je n’aurais pas dû en rajouter en tournant les talons et en sifflotant bêtement, j’allais certainement payer cher mon insolence.

 

Après une semaine d’accalmie consensuelle, les premières escarmouches avaient lieu. C’étaient d’abord quelques phrases d’apparence anodines adressées par ma tante lors des repas.

- Un homme en moins dans la maison, Frédéric qui va bientôt prendre le chemin de l’université, deux femmes au  service de deux autres ce serait indécent.

Le sort de Sylvette allait se jouer et je me demandais comment je pourrais agir pour éviter un drame.

Marina venait à mon secours, elle haussait le ton.

- Sylvette ne sera plus considérée comme une femme de service, elle va faire partie intégrante de la maison, nous allons lui aménager une chambre à l’étage, dans la roberie qui ne sert plus à rien.

Je m’attendais à une réaction violente de la taupe grise, elle se mordait les lèvres mais ne répliquait pas tout de suite, elle devait préparer un de ces fameux coups de jarnac dont elle a le secret.  

 

Mon père avait pris des dispositions afin que Marina ne soit pas obligée de faire ses valises en cas de malheur,   le testament comportait une clause faisant d’elle ma  tutrice et celle de Sylvette, dispositions inattendues mais conformes à la logique de mon père, quelques gros défauts mais aussi des petites qualités.

- Les hommes ne sont jamais mauvais ou bons à cent pour cent, et puis entre nous, ton père était persuadé qu’il vivrait vieux et que ces histoires de tutorat deviendraient caduques.

J’avais compris rapidement que Marina avait d’autres préoccupations que le sort de ma cousine; en devenant ma tutrice, elle devenait garante de ma part dans la société et actionnaire de fait, cette situation lui plaisait mais devenait  insupportable pour Odette Delanaud.

- Nous allons augmenter le capital de Delanaud SA, monsieur de Lauracourt se propose de mettre des billes dans notre affaire.

Voilà exactement le genre de riposte  que je pressentais, ma tante et le comte Bertrand de Lauracourt étaient restés longtemps dans le bureau de papa, plusieurs coup de téléphone avaient été échangés, Simone me l’avait chuchoté car elle avait la même crainte que moi, ces deux vautours voulaient m’évincer de la société.

- Et à vous deux vous deviendrez majoritaires, belle opération.

- De quoi je me mêle, tu n’es pas encore majeur et tu n’as pas droit à la parole, laisse ta représentante s’exprimer.

- Ta tante a raison, j’ai mon mot à dire, augmenter le capital de la société serait une excellente chose, de gros investissements vont être nécessaires, l’achat d’un chariot élévateur, l’installation d’un dispositif électrique pour les séchoirs, je propose de mettre une somme correspondant au double de celle apportée éventuellement par monsieur de Lauracourt.

Je croyais que ma tante allait subir le même choc que mon père,  la réplique de Marina l’avait secouée mais elle résistait et contre-attaquait immédiatement.

- Et d’où sortirez-vous l’argent nécessaire, ce sera un gros paquet, un très gros paquet, je peux vous le garantir.

- Nous en reparlerons le moment venu.

 

J’avais suivi Marina, elle passait des journées entières à son chalet.

- Je suis réellement chez moi ici, je me demande si je ne vais pas l’agrandir, amener l’électricité, installer une salle de bains et m’en servir comme résidence d’été...

Je posais des questions, m’étonnant de sa proposition financière.

- Petit curieux, j’ai économisé sur mon argent de poche, j’ai gardé les bonnes habitudes de ma jeunesse et ton père était très généreux, je possède une véritable fortune rien qu’en bijoux, je m’étais préparé à une telle situation, sans la souhaiter bien sûr mais je savais que ta  tante me ferait payer cher des années de rancœur accumulée, je voulais avoir un trésor de guerre.

- Tu comptes rester avec nous.

- Absolument, pourquoi? cela t’embête?

- Non, au contraire, j’ai besoin de ta présence, tu me vois constamment en tête à tête avec la taupe grise. Seulement tu es  jeune encore, tu pourrais retrouver un homme, refaire ta vie.

- Plus tard peut-être mais pour le moment j’ai une mission à accomplir, je dois m’occuper d’un jeune homme, remplacer à la fois sa mère et son père en attendant qu’il soit capable de voler de ses propres ailes.

- Tu me feras des pirojki?

- Des pirojki, quelle idée, nous verrons...tu sais ce que nous avions convenu tous les deux, la disparition de ton père ne nous délivre pas de notre promesse mutuelle, bien au contraire, aimons-nous comme mère et fils, c’est un amour merveilleux qui dépasse de loin l’amour charnel.

Marina avait entièrement raison, je ressentais près d’elle un bonheur que je n’avais jamais connu ou plutôt si mais c’était il y a tellement longtemps.  Le désir physique  qui m’avait angoissé s’estompait, je le repoussais comme si il était devenu incestueux.

- Barbara vient me voir demain, finalement son mari a abandonné l’idée du chalet, du moins pour cette année, il a d’autres dépenses en vue.

- Pourquoi m’annonces-tu cette nouvelle ?

- Tu me prends pour une demeurée, j’ai bien vu ton regard gourmand quand la rousse exposait sa chair de Britannique, je pense que tu as des chances avec elle...mais je suis idiote de dire de telles choses.



12/06/2011
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