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Le rocher du diable

Une fois de plus le même refrain, rares sont les personnes qui acceptent le suicide d’un des leurs, si le désespéré ne laisse aucune lettre explicative, si aucuns signes avant-coureurs n’ont été remarqués, le doute s’installe et s’amplifie. Il est vrai que certaines disparitions brutales sont suspectes, qu’il faut faire des recherches en profondeur pour découvrir un motif plausible et parfois ces investigations débouchent sur une orientation différente de l’enquête, mais il est vrai également que les motivations provoquant  une issue volontaire et fatale sont souvent nébuleuses, incompréhensibles pour les proches.

- Je comprends votre réaction, mais à mon avis beaucoup trop de choses sont restées dans l’ombre.

Je suis tombé sur un médium car je n’ai même pas sourcillé en l’écoutant, cette jolie dame décrypte mes réflexions internes, j’ai horreur de cette situation, habituellement c’est plutôt le contraire.

- Je peux continuer, pour essayer de vous convaincre.

- Je vous en prie, je suis là, j’ai répondu à votre demande.

- Ce drame s’est passé le mois dernier,  à Balermont, un bourg des environs, vous connaissez je suppose.

- Naturellement.

Balermont, chef-lieu de canton, situé à l’ouest du département, bourg essentiellement  rural, avec tout de même une petite zone industrielle. Il ne défraye guère la chronique et la mienne à plus forte raison, aucun crime, aucune affaire importante à part les cambriolages et les accidents de la route qui font partie des généralités, quelques incendies de fermes dans les villages environnants et de temps en temps un accident de chasse. La falaise ? Difficile de la rater quand on approche de la localité, elle domine  une grande partie des habitations, c’est un mur de calcaire grisâtre impressionnant.

- Son corps a été retrouvé au pied de cette falaise, dans un jardin situé en contrebas...je n’ose y penser...

La brune serre les lèvres et retient ses larmes, beaucoup de cran.

- Il résidait dans ce bourg ?

- Non, il avait un appartement à Paris, plus précisément à Courbevoie, il était en retraite depuis plus de trois ans, mais sa présence à Balermont avait une justification, il avait fait une grande partie de sa carrière comme directeur de travaux dans le bâtiment et ses débuts en tant que chef de chantier lors de la construction d’un ouvrage situé dans les environs de ce bourg... Nostalgie du passé que ce voyage à Balermont, d’autant plus que par la suite, il a toujours travaillé hors de  France, notamment au Sénégal, en Syrie et en Arabie Saoudite. Cette sorte de retour aux sources lui ressemblait bien, nous avions eu une conversation téléphonique  deux jours avant le drame, il me disait avoir retrouvé avec plaisir l’hôtel qui l’avait hébergé à l’époque du chantier et rencontré plusieurs personnes qu’il avait connues, dont une femme.

- Hormis le fait que votre père n’a laissé aucune lettre d’adieux et qu’apparemment il n’avait aucun motif pour programmer sa mort, avez-vous d’autres éléments qui permettraient d’écarter la thèse du suicide, et ne pourrait-il s’agir d’un accident ?

- Un accident, cela m’étonnerait, il a passé plus de trente ans sur des chantiers, avec tous les risques encourus...si, curieusement, le seul accident grave qu’il ait connu avait eu lieu  sur le chantier de Balermont, il est...tombé d’un échafaudage défectueux. Heureusement, un tas de sable se trouvait à l’aplomb de la chute, il s’en est tiré avec quelques égratignures, il nous avait raconté cette aventure, son plongeon, la plus grande peur de sa vie, il en parlait encore de temps en temps...

- En quelle année cet accident?

- Je devais avoir dans les quatre ou cinq ans, cela ferait donc vingt-cinq ans environ, en 71 ou 72.

La dame venait de me dévoiler son âge et  attendait manifestement que je  marque mon étonnement, si j’avais exprimé mon sentiment le plus sincère, je lui aurais dit qu’au contraire, je lui donnais quatre ou cinq ans de plus. Combien de vils flatteurs doivent lui faire le coup de la surprise (Comment, vous, trente ans ! !, je n’y crois pas)

- Vous dites... nous ? Votre maman je suppose.

- Oui, ils vivaient encore ensemble, j’avais douze ans quand ma mère a quitté la maison en m’emmenant avec elle, nous nous sommes installées ici, sa ville natale ; elle ne supportait plus les longues périodes de solitude, à l’époque je lui en voulais terriblement, je ne l’avais pas comprise, à présent je sais qu’il est pénible de vivre dans la solitude trop longtemps, je lui ai pardonné...elle est décédée il y a huit ans.

- Vous avez des indices sérieux qui étayent vos suppositions ? Vous pensez à un crime bien entendu.

- Déduction logique, vous êtes bien comme mon ami vous a décrit.

J’ai enfin droit à un sourire et mes pronostics étaient bons, la charmante dame a des qualités indéniables de séductrice.

- Je ne me suis pas présentée, je suis impardonnable...Véronique Léonardin... mademoiselle Léonardin.

J’aurais parié que la jolie brune avait des ascendants transalpins, sa maman peut-être ?

A nouveau mes pensées étaient disséquées.

- Ce patronyme avait un i final jusqu’en 1938, grand-père, farouche républicain avait demandé à ce qu’il soit francisé, plusieurs Italiens d’origine avaient accompli cette démarche à l’époque du fascisme pour marquer leur opposition à Mussolini et surtout pour éviter les heurts avec certains Français de souche, il paraît que ma famille avait été  confrontée à ce problème, d’autant plus que grand-père était installé comme artisan maçon dans un petit village.



31/07/2011
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