Un second souffle
Je commence à fatiguer en attendant le père Manaux, ses trois acolytes sont arrivés et ils me cassent les pieds en me racontant leurs histoires villageoises, ils mélangent les époques, l'un veut me parler de grand-père mais j'ai bien l'impression que sa mémoire est chancelante.
La taulière n'est pas dans un bon jour, elle a un teint de cire, des yeux voilés, m'étonnerait qu'elle me propose une conversation.
Enfin, l'homme qui entre ne peut être que celui que j'attends, il faut que je l'intercepte avant qu'il n'attaque les parties de cartes.
- Ah c'est vous le fameux Vincent Demoulin? et vous voulez me parler, à quel sujet donc ? vous savez, je n'ai plus beaucoup de souvenirs, la cervelle ne fonctionne plus comme avant.
Je lui demande un entretien en tête à tête, il accepte en rechignant mais ce sont surtout ses partenaires qui râlent.
Je commence par lui offrir un "canon" qu'il ingurgite rapidement et je peux doubler la mise aussitôt.
- Votre père? la chasse? un bon fusil mais trop sensible, il tirait les sangliers mais laissait passer les biches.
- Vous chassiez dans les forêts de Boisaumont?
- Bien entendu, nous avions des actions dans les deux chasses, la foret de Lesse plutôt par temps de neige, pour le sanglier...vous auriez vu les bêtes, j’ai deux têtes chez moi, deux beaux mâles, je ne vous dis pas, je vous montrerai.
- Qui d'autres chassaient habituellement avec vous?
- Nous étions une bonne vingtaine avec les traqueurs.
- Il reste encore des anciens? du temps où mon père était encore au village?
- Mais pourquoi vous me demandez ça ?
- Je recherche les souvenirs de papa, tout simplement, je questionne ceux qui l’ont bien connu.
- A part à la chasse, votre père était rarement au village, tenez, il ne mettait jamais les pieds dans ce café, c’est vous dire... Des anciens ? pensez-vous, à part moi et... Albert Vignon... ah si, René Louvier, j'allais l’oublier, lui il est à Lermont, dans une maison de retraite... mon fils voulait me placer dans cette prison, il y a huit ans, depuis c'est lui qui est mort, voyez comme c'est le destin.
- Où habite Albert Vignon?
- Il est chez sa fille, la veuve Dubois, il a de la chance, il est bien soigné par la belle Marie-Louise.
J'attaque directement avec l'histoire du chalet de chasse, le temps presse, les autres s'énervent et menacent de partir, le père Manaux tient à ses parties de carte hebdomadaires et le bousculer de cette façon peut provoquer des confidences.
- Je vous voyais venir avec cette histoire, vos balades à Boisaumont, votre visite chez Lenoir... qu'est ce que vous croyez, tout se sait dans notre commune, depuis que vous êtes en villégiature, vos faits et gestes sont épiés, faut pas en vouloir aux gens, les distractions sont rares, les étrangers sont toujours surveillés .... drôle d'affaire, la fille nous a accusé à tort, nous l'avons dit et répété au père Fontaine, possible que le coupable faisait partie du groupe présent ce dimanche-là, seulement vous pensez, aucun n'a voulu avouer.
- Vous étiez six dans le chalet?
- Nous étions six c'est vrai, la fille est venue rôder autour, nous l'avons aperçue, ensuite nous sommes allés nous poster et c'est tout, c'est quand Cécile a avoué son état et qu'elle nous a accusés que nous avons été inquiétés, plusieurs mois après.
- D’après vous le coupable figurait parmi vous six.
- Pas moi en tout cas, ça je peux vous le jurer, pour les autres j'peux pas dire, vot’père sans le défendre, m'étonnerait que ce soit lui, enfin faut dire qu'on avait sifflé plusieurs bouteilles de pinard, du bon qu' le Jeannot avait apporté pour fêter la naissance de son premier petit-fils.
- Qui était ce Jeannot?
- Le boucher, il a cassé sa pipe il y a plus de dix ans...bon c’est pas le tout, les autres vont s’impatienter, si vous voulez, on pourra rediscuter de ça une autre fois.
Vignon encore au village, Louvier dans une maison de retraite, deux gaillards à questionner dès que possible.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 10 autres membres