Motsetphotos

Motsetphotos

Un été ordinaire

Je guettais l’arrivée de la Ford, sans me montrer obséquieux, je voulais accueillir ma tante poliment et porter une partie de ses bagages, notre prochaine cohabitation s’établirait sur de bonnes bases.

- Ouf! Quel plaisir de respirer l’air pur de notre campagne, ces voyages en avion sont pénibles et je veux oublier l’attente à l’aéroport, chaleur, foule et bruit, un véritable supplice, et ces Napolitains exubérants, ce qu’ils sont bavards, collants et lassants, si je vous disais qu’un serveur du restaurant me faisait les yeux doux.

- Rien d’étonnant à cela,  tu n’as que quarante cinq ans ma chère Odette, tu peux encore émouvoir un homme, crois-moi.

Mon père ponctuait cette phrase d’une moue plutôt dégoûtée, quel faux-jeton. Marina riait sous cape, ce serveur devait être encore plus myope que sa cliente ou alors il visait le compte en banque.

 

La cheville emballée par une bande, tante Odette marchait difficilement et boitillait des deux jambes, sa longue jupe de laine gris anthracite resterait en place pendant quelques jours.

- Quelle idiote je suis, j’ai glissé en rentrant à l’hôtel sur une partie plate et sans aspérité alors que je venais d’accomplir plusieurs kilomètres sur un chemin escarpé et parsemé de rochers.

- C’était la fatigue ma chère Odette, la fatigue et la fatalité, mais tu aurais tort de te plaindre, rien n’est cassé, au moins.

- C’est tout de même douloureux à la marche et puis tu vas bientôt partir,  qui va surveiller les travaux ?

- Nous avons un suppléant efficace, il s’est affirmé durant ton absence, un futur chef d’entreprise à la hauteur.

Cette réplique ne devait convaincre ma tante qu’à demi, et encore.

- Autrement, comment s’est passé cette fameuse cure ?

- Les bains de boue sont épuisants, mais cela fait un bien immense aux articulations, sans cette chute idiote.

- Et le temps ? Comment était le temps en Italie ?

- Trop chaud, beaucoup trop chaud, des nuits pénibles, insupportables, et ici?

- De la pluie, des orages, maintenant cela à l’air de vouloir s’arranger, il serait temps, tout de même.

Les bavardages allaient continuer tard dans la soirée, tout allait être passé en revue, commandes en cours, livraisons, règlements des clients, les trois heures de route n’avaient pas suffi à épuiser le sujet. Fernand s’était trompé, pour une fois la taupe grise différait sa tournée d’inspection, sa cheville n’aurait pas supporté.

Marina était comme moi,  saoulé par les flots de paroles de tante Odette, elle venait me retrouver dans le petit salon. Cet endroit de la maison était celui qu’après ma chambre je préférais, surtout depuis l’installation d’un poste de télévision. Un éclairage discret, une température toujours constante, des tapis épais et des murs lambrissés de bois, il était beaucoup plus agréable que la grande pièce commune au sol marbré, à la table austère et à la cheminée monumentale. Autre particularité plaidant en la faveur de cette pièce, la taupe grise venait rarement s’asseoir sur le sofa ou sur un fauteuil, ses douleurs articulaires lui imposaient une chaise et, si elle désirait regarder une émission télévisuelle, elle s’installait en retrait. Mon père quant à lui snobait souvent la télévision ou bien il s’endormait rapidement, par contre Marina ne ratait rien ou presque.

- Tu regardes le film ce soir, c’est une très belle histoire.

Effectivement mais je l’avais déjà vu au cinéma et, là, sur ce petit écran fourmillant, la Chartreuse de Parme et Fabrice Del Dongo n’étaient pas au mieux de leur forme.

- Il faudra remonter encore cette antenne,  l’image est  affreuse; chez mon amie Véronique c’est nettement mieux.

Avoir un poste de télévision était le fin du fin, nous avions été les premiers du village à monter une antenne sur le toit de la maison, antenne qui poussait à longueur de mois dans l’espoir de recevoir de meilleures images. Espoir chaque fois suivi de déception, les collines voisines gênant la propagation des ondes. Depuis que nous sommes équipés, quatre ans environ, la mode s’étend, une dizaine de foyers de Calaumont bénéfice maintenant de ce privilège.

- Bientôt tout un chacun aura son appareil de télévision, même les ouvriers, et ils viendront encore se plaindre d’avoir des paies trop maigres, nous saurons quels arguments opposer au moins.

- Ne dis pas de bêtises Pierre-Louis, que regarderaient les ouvriers à la télévision, les programmes ne sont pas adaptés à leur culture voyons, et puis je m’aperçois que plus les antennes se multiplient sur les toits et moins l’image est bonne, c’est logique, il faut partager les ondes.

Mon père haussait les épaules en entendant ce genre d’inepties, sur le plan de la technicité, sa sœur était d’une nullité sans pareille.

J’étais vite las de  la Chartreuse de Parme et de ses amours contrariés.

- Tu préfères la bagarre, les coups de feu, les films de cow-boy et d’indiens,  mais l’amourrr c’est important dans la vie l’amourrr, très important.

Marina  n’avait plus évoqué l’entracte agrémenté de pirojki et de vodka, un grand voile avait-elle dit, j’aurais aimé être sous le même voile qu’elle, un voile qui aurait la couleur et la douceur de ses draps, je poserais ma tête contre son sein et triturerais le bout du téton.

- Bonsoir jeune homme, fais de beaux rêves.

Merci belle dame, dommage que dans deux jours tu vogueras vers Cythère sans moi.

 

C’est bien la première fois que l’absence de Marina me causait du désagrément et même plus, par quel miracle  cette femme que je haïssais jusqu’à souhaiter sa mort était devenue l’espace d’une journée, d’une heure, presque une amie, une complice...pirojki... dès son retour je lui demande de me répéter ce mot, chaque matin...pirojki...je me plaçais face à la glace de l’entrée et à voix basse je prononçais ce mot divin...pirojki...

- Ton père m’a signalé qu’un vent de fronde se lève du côté de nos cités, quelle est cette histoire de toilettes, quel déshonneur à se déplacer de quelques mètres pour un besoin naturel, soi-disant que chaque expédition vers le lieu d’aisances est comptabilisée par les voisins, ils savent ainsi si Raymond est constipé ou si Jeanne à la diarrhée. Et si nous mettons ces commodités contre les maisons, imagine l’odeur et les mouches, les logements seront empestés et infestés. Ou alors il faudra creuser des trous, y placer des fosses septiques, brancher des canalisations, que sais-je encore,  ensuite, ces braves gens demanderont l’installation d’une salle de bains avec baignoire et bidet, une robinetterie moderne, c’est cher un robinet, même ordinaire, nous en savons  quelque chose, tu as vu le prix que nous avons payé pour celui des bureaux. Il faudrait  rappeler à ces familles qu’elles ne paient aucun loyer, ni l’eau; c’est important l’eau, ces gens peuvent arroser leurs légumes sans se priver, et ils ne s’en privent pas, les factures d’eau augmentent sans cesse, font déborder le vase de la tolérance, où allons-nous mon Dieu, où allons-nous ?

A peine le taxi emportant papa et Marina avait franchi les limites de la propriété que des ouvriers s’activaient pour transporter les madriers et les planches au fond du parc, à l’endroit prévu pour l’implantation de  la datcha-surprise, assez loin de l’ancien cabanon et bien dissimulé.

Le maçon de Calaumont avait préparé à l’avance des plots en béton, il suffisait de faire des trous pour les mettre en place, Marius le  garde-champêtre-cantonnier-fossoyeur était tout désigné pour accomplir cette besogne, toujours cela de gagné, il émarge à la commune.  La démolition d’un mur, l’édification de deux cloisons et le coulage d’une dalle en béton, travaux programmés dans l’usine était confiés à une  entreprise importante. Si la scierie et la caisserie marquaient une pause de deux semaines, la fabrication du parquet était maintenue.

- Des commandes pour les écoles, les délais sont impératifs, les ouvriers n’ayant pas encore droit aux congés seront employés dans la parqueterie. Malgré la présence de Gabriel, il faudra les surveiller, ils auront tendance à se croire eux aussi en vacances, et commence un peu à te montrer tel que tu devras être dans quelques années, je n’aime pas trop les familiarités que se permettent les Fernand et compagnie avec toi.

Ce discours m’était servi régulièrement, mon père me réservant une version plus alambiquée.

Ce qui m’importait dans ce maintien partiel d’activité, c’est que  Manou ferait partie des employés en service,  je me réjouissais de la voir s’activer dans un autre contexte que la triste caisserie. 

J’allais d’un chantier à l’autre et il est vrai que cette sorte de surveillance me plaisait, les gros travaux avançaient lentement mais sûrement alors que le montage de la datcha progressait rapidement,  la taupe grise avait encore des difficultés à marcher, elle se contentait de surveiller la fabrication du parquet, gardant une oreille tendue vers le téléphone.

- C’est bien la première fois que monsieur Wagner et Simone prennent leurs vacances dans la même période.

Emilien  avait une explication à cette bizarrerie.

- Ce n’est pas en même temps qu’ils prennent leurs vacances, mais ensemble, ils cachaient bien leur jeu  ces deux-là...

Depuis que j’avais la certitude que le légionnaire se contentait de ‘papouiller’ Sylvette, il m’était devenu plus sympathique, seulement, je ne perdais pas de vue qu’un autre homme avait un comportement plus engagé envers ma cousine et je me promettais de le démasquer.

 

- Madeleine, tu as remarqué, il nous manque un petit verre à pied en cristal, la coupable ne peut être que cette godiche de Sylvette.

- Non madame Odette, c’est moi cette fois-ci, en sortant le grand plat.

Brave Madeleine, prête à endosser le coup de folie de Marina. Précieuse Madeleine, depuis des années au service de tout et de tous, une constance et une disponibilité incommensurable disait mon père, le salaire versé à cette brave dame était plutôt inconvenant.

Madame Odette doutait de la véracité de cette affirmation mais ne pouvait la réfuter, l’incident était clos.

- Ton intérêt soudain pour ce qui touche Marina ne me dit rien qui vaille, je me suis laissé dire que tu avais offert ton aide au montage de son fameux Trianon en bois, essayerais-tu de le saboter, aurais-tu scié une poutre...maîtresse en espérant que toute la structure s’écroule quand la Slave ouvrira la porte ?

Si j’avais dévoilé le fond de mes pensées à la taupe, elle serait tombée raide morte, ce lieu isolé, bien caché, d’un accès discret par la forêt serait un endroit idéal pour des rencontres intimes...pirojki...

- Je viens de parler avec monsieur Belordi, il me disait qu’installer des waters convenables dans les cités ne représenterait pas une dépense faramineuse, des subventions importantes sont actuellement accordées pour ce genre de travaux sanitaires et... salutaires, l’entrepreneur m’apporte tous les renseignements utiles demain matin.

Encore une bonne surprise, décidément un vent nouveau souffle sur Delanaud SA, un bon génie s’est penché sur nous et insuffle  un courant bénéfique, la pingre prête à dépenser une fortune !

- Nous pourrons alors exiger le règlement de loyers, cela se fait partout maintenant, ainsi nous rentrerons dans notre argent, et puis nous installerons des compteurs d’eau sinon les chasses  seront constamment tirées et nous serions les... pigeons.

Je me disais aussi que c’était trop beau.

………..



02/05/2011
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 10 autres membres