Un second souffle
Tenace cet orage, ce n’est pas pour me déplaire, malgré le peu de paroles échangées, la compagnie est agréable, j'en oublie presque la sensation de brûlure qui me gagne tout le dos, je plaisantais en parlant de cette terrible maladie qu'est le tétanos mais je me souviens d'histoires abominables le concernant. Quand j’étais môme, la moindre coupure ou piqûre m’affolait, je courais vers maman qui suçait la plaie pour me rassurer « Voilà j’ai aspiré les vilains microbes, tu peux continuer à jouer » Je ne me faisais aucun souci pour ma salvatrice, persuadé qu’elle était immunisée contre toutes les maladies...
- Vent d'est, les nuages vont être bloqués pour un sacré bout de temps contre les collines, ils ne peuvent passer au-dessus, cet orage risque de durer....
- Comment savez-vous cela? Vous êtes du coin?
- J'étais du coin comme vous dites, je suis né à Hauréville figurez-vous, y ai vécu une quinzaine d'années, ce n'est pas d'hier mais certaines choses me sont restées en mémoire, je m'appelle Vincent Demoulin.
L'inconnue a un nouveau mouvement de recul, elle scrute mon visage, me regarde de haut en bas, je me sens gêné d'être à ce point inventorié.
- Demoulin vous dites ? Demoulin... bon, la pluie a pratiquement cessé, je vous laisse, au revoir monsieur.
Prestement, elle se saisit de sa bécane et se dirige vers la sortie.
Je retiens le véhicule par le porte-bagage.
- Je me suis présenté, pourrais-je connaître le nom de ma charmante infirmière?
- Quelle importance, nous n'aurons plus jamais l'occasion de nous rencontrer, les orages sont assez rares cette année, rentrez rapidement chez vous, désinfectez les griffures et mettez un pansement, les mouches commencent à bourdonner autour du sang, vous pourriez être...
Elle n'achève pas sa phrase, tire violemment sur son engin, me l'arrache des mains et l'enfourche avant de démarrer sur les chapeaux de roue, elle file en direction de Neuville et disparaît rapidement dans un creux; je reste planté devant l'entrée, attendant de la voir réapparaître dans la montée suivante, mon attente se prolonge en vain, j'ai compris, elle a bifurqué à gauche vers le hameau de Boisaumont, le chemin est encaissé, bordé de haies épaisses, impossible de distinguer un passage de bicyclette. Je connais bien cet endroit, mon grand-père avait un pré qui longeait cette route blanche, un été, où nous nous avions été privés de vacances au bord de la mer, je ne me souviens plus pour quelle raison, presque journellement, je venais compter les génisses et les veaux en pension dans cet enclos, je faisais tout le tour en longeant la clôture afin de vérifier la solidité des fils de fer et la tenue des piquets, c’était une période de grande sécheresse et je remontais le cours du ruisseau pour dégager les obstacles qui empêchaient l'eau de descendre jusqu' à une sorte d'abreuvoir, je passais des heures dans le lit encaissé du ruisseau, à l'ombre des saules, lâchant les barrages naturels formés par des branches et des feuilles, je suivais l'onde jusqu'à la mare, en aval, je réparais l'espèce de digue en argile qui maintenait une eau devenant vite boueuse, j'avais le plaisir de constater que les animaux attendaient impatiemment l'arrivée de l'eau claire pour venir s'abreuver, j'étais heureux de les voir pomper avidement et j'avais l'impression qu'ils me regardaient d'un oeil reconnaissant.
Qui est cette femme? et pourquoi, alors qu’elle se comportait presque logiquement, l'évocation de mon nom a suffit à la rendre aussi désagréable? Qu'évoque pour elle la famille Demoulin? Dès demain je vais aller rendre visite aux gens de Boisaumont, c'est bien le diable si je ne retrouve pas rapidement trace de la belle apeurée, de mon temps le hameau comptait une soixantaine d'habitants, il a du se dépeupler aussi, comme tous les villages des environs.
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