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Le bois des grives

Le rendez-vous avec Norbert de Verlimont a été difficile à obtenir, Sylvain a usé de diplomatie.

-Nous ne sommes pas très bons amis, lors de mes comptes-rendus sur ses expositions, je suis loin de louer ses œuvres, sans toutefois les dénigrer, je lui ai dit qu’un de mes collègues était ouvert à l’art d’avant-garde, la perspective de rencontrer un admirateur a provoqué son acceptation.

-Tu sais que j’ai difficultés à feindre.

-C’est toi qui est demandeur, tu feras un effort, je te tuyauterai sur l’art nouveau, je t’apprendrai quelques mots-clés.

 

Un effort ! Le mot est faible, déjà je que je suis hermétique à l’art abstrait… Dans une aile du château aménagé comme une galerie, Norbert me présente son capharnaüm.

-Vous avez reconnu ce fier cavalier sur son cheval ?

Je n’ai même pas remarqué que la statue en ferraille placée à l’entrée représentait une statue équestre.

-Don Quichotte et Rossinante peut-être ?

-Bravo, on voit que vous êtes un connaisseur.

Sylvain se retourne et tousse, il doit pouffer de rire intérieurement, je me retiens, ce nom m’est venu à l’esprit, j’ai pensé au cavalier à la triste figure, je dirais même défiguré, quand au canasson, il ressemble plutôt à un dinosaure.

Je vais de surprise en surprise, plusieurs sculptures sont confectionnées avec des objets de toutes sortes, clous, boulons, fers à cheval, outils divers, une vraie quincaillerie.

-Ce sont des œuvres en mémoire des métiers disparus, en souvenir des artisans du passé.

Je doute fort que mon grand-père menuisier trouve géniaux  ces assemblages de rabots, marteaux et autres varlopes, quand aux tableaux, ils ont la particularité de n’avoir aucun sens et leurs couleurs sont vives, agressives.

-Chacun peut le disposer suivant ses états d’âme.

Je comprends parfaitement le désir du grand frère voulant se débarrasser de ce bric-à-brac.

-Alors qu’en pensez-vous monsieur Passy.

-Mon cher, je suis sans voix.

J’essaye de placer les mots que Sylvain m’a appris mais Norbert est tout excité, il n’arrête pas de parler. J’ai encore le droit à une visite guidée de l’atelier, une annexe vitrée où gisent des morceaux de tôle et d’acier.

-Je puise la matière dans ces monceaux d’objets inanimés à qui je donne une âme.

Je commence à fatiguer, je ne suis pas venu pour l’artiste.

-Que pensait votre frère de vos talents ?

Norbert se renfrogne.

-Un rustre, un paysan, il ne m’a jamais compris.

-Sa disparition vous a affecté.

-Franchement non, d’ailleurs rares sont ceux et surtout celles qui l’ont regretté, c’était un dictateur, un potentat, déjà quand nous étions enfants, il était invivable, j’étais sa tête de turc, il avait six ans de plus que moi.

-Vous connaissiez l’accusé ?

-Pourquoi dites-vous l’accusé et non le coupable ?

-Une habitude, ce n’est pas votre avis ?

-Qui ne connaissait  Jean Calluis !

-Et son épouse, elle était employée au château je crois.

Le visage de Norbert s’empourpre.

-Thérèse…Thérèse, oui naturellement, elle a été courageuse mais elle a tout de même craqué.

C’est sur la terrasse, alors que notre hôte nous offre à boire que je parle de Maurice Couturier.

-Que cherchez-vous ? Vous êtes venu pour remuer une vieille et triste affaire ? Cet homme était sans foi ni loi… Vous allez écrire un article sur mes compositions, annoncer ma prochaine exposition, vous viendrez au vernissage n’est-ce pas !

Sylvain ne peut refuser.

-Vous m’enverrez une invitation, c’est d’accord.

-Je vous en envoie une aussi monsieur Passy.

Je reviens sur le crime, ce qui semble agacer Norbert qui fait une fixation sur ses réalisations.

-Vous étiez sur les lieux quand le drame a eu lieu ?

-Gauthier avait insisté pour que j’accompagne les chasseurs ce jour-là, il en manquait un, vous savez, un poste non pourvu désorganise la chasse, depuis la mort de papa, je n’avais plus sorti mon fusil, mais, pour faire plaisir à mon frère en espérant qu’il tienne compte de ma bonne volonté et qu’il me laisse en paix, j’avais accepté.

-Vous avez été témoin du crime ?

-J’étais posté à côté, les rabatteurs se rapprochaient et je me tenais sur mes gardes.

-Vous auriez tiré sur le gibier ?

-Sur un sanglier oui, mais pas sur un chevreuil ou une biche…Un coup de feu a éclaté, j’étais surpris car j’avais l’impression qu’il avait été tiré de l’intérieur de la forêt, mais vous savez, avec l’écho, puis des cris, le chasseur le plus proche de Gauthier m’a appelé au secours, quand je suis arrivé, mon frère rendait son dernier soupir.

Avant de quitter le château, Norbert me fait un cadeau, l’une de ses œuvres, une composition faite de plusieurs tire-bouchons soudés.

-Merci, c’est original, il aura sa place chez moi.

L’artiste est heureux du compliment alors que la destination de cet objet sera au mieux, une étagère de mon atelier de bricolage.

………..



02/02/2012
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