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Le Côtes-du-Rhône était bon, seulement, à jeun, mon estomac grimace, j'ai hâte d'arriver au restaurant, le pain doit être déjà sur la table.

- Tu es en avance, tu as faim, installe-toi, je t'apporte les hors-d'œuvre tout de suite...Ton copain, au fond, tout seul, pense à moi pour la sacoche.

Simone me murmure ces mots lorsque j'entre dans la salle à manger, Georges Mathieu me salue.

- Vincent, je pensais que tu avais quitté Hauréville, finalement tu t'y plais; j'ai acheté la maison, affaire conclue rapidement, comme je l'espérais le notaire a lâché du lest; j'attends des artisans demain matin, pour des devis, je voudrais que les travaux commencent rapidement, je veux être chez moi pour l'ouverture de la chasse aux bois.

- Ta charmante épouse ne t'accompagne pas?

- Comme tu vois, non, je vais camper dans la maison et rester éventuellement quelques jours, faut surveiller les ouvriers sinon ils te sabotent le travail; mais j'ai entendu dire que tu étais dans le bâtiment? que tu travaillais dans un cabinet d'architecte je crois? j'aurais pu te demander des conseils... remarque ce n'est pas trop tard, j'aimerais te montrer le manoir.

Difficile de refuser d'autant plus que raviver mes connaissances dans le domaine de la construction ou de la rénovation ne sont pas pour me déplaire.

- Demain dans la matinée, à l'heure  que tu veux.

J'avais mis les pieds dans cette grande maison un seule fois, lors d'une réception annuelle, le mauvais temps ne permettait pas que le goûter se déroule dans le jardin comme habituellement,  je devais avoir une dizaine d'années, les pièces immenses m'avaient impressionnées, ainsi que le mystérieux corridor et l'imposante montée d'escalier, je trouvais cet ensemble moins grand qu'imaginé mais tout de même, que d'espace; personnellement, je ne voudrais habiter dans une telle maison, belle et vaste d'accord, mais froide, glaciale  avec cette profusion de marbre et de carrelage.

- Merci d'être venu, l'électricien vient de partir, j'attends le menuisier et le peintre, comme tu vois, beaucoup de bricoles à réparer, elle a été abandonnée trop longtemps.

- Ton épouse va se plaire dans ce décor?

- Oh elle, pourvu qu'elle ait son petit confort, ses sorties, des voyages de temps en temps.

- Tu n'as pas peur, une jeune et jolie femme, avec l'âge que tu as?

- Qu'elle s'ennuie? qu'elle me trompe? non, figure-toi qu'elle a galéré pendant des années, avec moi elle ne manque de rien, quand je casserai ma pipe, elle aura encore une bonne pension, elle pourra prendre un jeune si cela lui chante; tu sais mon vieux, je suis réaliste, j'ai vécu des périodes difficiles, j'ai vu des  choses horribles; en Indochine, j'ai été prisonnier des Viets, quatre mois atroces, tu peux me croire, les nazis étaient des enfants de chœur, pour le raffinement dans la torture comme dans le reste, rien ne vaut l'Asie, en Algérie c'était autre chose, plus moral  que physique, je te raconterai un jour, alors maintenant je m'estime heureux de vivre et je ne me pose plus de questions, crois-moi c'est la meilleure solution pour continuer à vivre normalement sur cette putain de terre.

Je prends du plaisir à conseiller mon ami Jojo, le menuisier qui vient d'arriver m'écoute et approuve mes suggestions.

- Monsieur a raison, un peu de bois sur les murs, ne serait-ce qu'un soubassement donnerait plus de chaleur à l'entrée et puis c'est un excellent isolant.

- Tu restes encore plusieurs jours, si je te demandais de jeter un œil sur les travaux de temps en temps, je te rémunère bien entendu.

- Je veux bien jeter un œil, et c'est tout.

- Dans ce cas n'en parlons plus.

- Tu me payes un repas chez les Lavigne.

- D'accord.

Cette demande m'agrée, le plaisir de retrouver un peu l'ambiance du bâtiment, ambiance qui me  manque, c'est évident, même si parfois les problèmes posés me donnaient la migraine, surtout dans les dernières années où la conscience professionnelle de certains professionnels laissait souvent la place à la sacro-sainte rentabilité.