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Un second souffle

Simone Lavigne refait enfin surface, son comportement me désolait, elle revient dans ma chambre et ne pleure plus trop sur  son magot disparu, elle va pouvoir le reconstituer  rapidement, les clients affluent en cette saison et la cave  se vide, elle m'avait avoué que c'est sur les vins qu'elle parvient à faire des 'économies, je la questionne sur la famille Fontaine.

- Tu sais nous sommes un peu dans une tour d'ivoire, les faits et gestes des villageois  ne nous intéressent peu, nous ne voyons que les notables d'Hauréville et ils ne sont pas nombreux, les autres, nous les rencontrons pour des circonstances exceptionnelles, communions, mariages, banquets; le café du Centre est plus populaire, tous les ragots  se colportent à partir de cet endroit, et puis, concernant Boisaumont c'est encore pire et n'oublie  pas que nous ne sommes installés depuis huit ans seulement, nous sommes toujours considérés comme des étrangers par les autochtones.

Je n'avais pas encore oser franchir la porte du café du Centre, peur de me faire alpaguer par les poivrots de service, du temps de ma jeunesse, mon père et mon grand-père évitaient ce troquet, la patronne de l'époque avait mauvaise réputation, pendant l'occupation, elle recevait des allemands à qui elle procurait des femmes pour une soirée,  à la libération, elle continuait ce commerce lucratif avec les Américains; elle devait payer de sa propre personne lorsque la demande était trop importante, elle avait le physique et la faconde de l'emploi, la gérante actuelle n'est autre que la nièce de l'ancienne et, d'après Simone, elle ne" vaut pas chère".

Alors que je recherche le contact avec des anciens qui pourraient éventuellement me donner des tuyaux sur les Fontaine, ma première incursion dans la salle du café du Centre est un fiasco, je suis le seul client, je découvre la patronne et c'est un phénomène, comme presque tous les habitants d' Hauréville, elle n'ignore nullement ma présence et connaît mes origines.

Avant de découvrir la belle Gisèle, je l'imaginais à l'image de la façade de l'établissement, vieille, défraîchie, peinture délavée et écaillée, je fais une erreur de pronostic, Gisèle n'est plus une jeune fille, au sens propre c'est visible, au sens figuré cela se devine, pourtant, malgré son demi-siècle, il lui reste de beaux atouts et elle sait les mettre en valeur, des yeux noisette, un teint de pêche, une bouche couleur cerise, des cheveux jaune mirabelle, un véritable verger ambulant, en prime elle est très souriante, avenante.

- Vous êtes natif de ce bled, vous avez bien fait de ficher le camp, moi j'ai fait le contraire, je suis venue m'enterrer ici pour tenir ce troquet à péquenots, douze ans que j'abreuve une équipe de rigolos puants qui fond d'année en année, je n'aurais même pas besoin de prendre ma retraite, les clients sont de moins en moins nombreux, ceux qui meurent ne sont jamais remplacés, les jeunes ne fréquentent plus les bistrots, ils préfèrent se saouler à la maison, c'est moins cher et plus discret, vous vous rendez compte j'étais serveuse à Paris, dans le quartier de la gare du nord, sacrée animation, quel contraste, je suis folle vous ne croyez-pas?

La sémillante Gisèle profite de ma visite pour vider son sac, elle tient un interlocuteur attentif.

- Vous faites parler de vous, depuis votre arrivée j'ai appris beaucoup de choses sur vous et surtout sur votre famille.

Décidément, les villageois ont peu de sujets importants à se mettre sur la langue pour m'inclure dans leurs conversations, toutefois, Gisèle excite ma curiosité.

-  Qu'avez-vous appris, par exemple.

- Sur votre grand-père, paraît que c'était un gaillard, il aimait bien les femmes mais votre papa n'était pas en reste.

 Je suis plutôt surpris, grand-père je veux bien, sa probable liaison avec Margot le prouve, mais mon père? il est vrai que j'ai peu de souvenir de lui, j'avais quatre ans quand il a été mobilisé, il a été fait prisonnier, s'est évadé d'Allemagne, a rejoint l'Angleterre et a participé aux différentes campagnes d'Afrique du nord et d'Europe; A la libération il a retrouvé son job de chef de chantier dans une entreprise de bâtiments et travaux publics; il était perpétuellement en déplacement, Le Havre, Caen, Brest et puis Evry, en région parisienne où il a été victime d'un accident de chantier, accident mortel, trois ans après notre départ d'Hauréville, il revenait une ou deux fois par mois et pour les fêtes, je me souviens surtout des cadeaux qu'il m'apportait, les grandes vacances je les passaient chez mes grands parents maternels en Bourgogne alors que mes parents couraient le monde de long en large.

Je voudrais bien savoir ce que les bavards racontent au sujet de mon père, Gisèle que je questionne ne répond que partiellement à ma question.

- C'est par ouïe dire, uniquement par ouïe dire, c'est vrai que j'ai des clients bavards et parfois calomnieux...

J'essaye de raviver ma mémoire, je n'ai jamais entendu la moindre dispute à la maison, jamais un mot plus haut que l'autre mais c'est vrai qu'à l'inverse, je n'ai jamais constaté de passion ni même de véritable tendresse entre mes parents, mais ce devait être normal, les sentiments ne s'affichaient pas comme maintenant.

Au fur et à mesure de notre entretien, je constate que Gisèle a entamé une opération charme, son attitude, ses gestes, ses paroles ne trompent pas, son arsenal de séductrice est loin d'être émoussé et elle sait l'utiliser judicieusement, l'échancrure de son corsage s'élargit sous l'effet de soupirs profonds et laisse apparaître une poitrine prometteuse, je vais craquer et justifier un certain atavisme tardif, je dois penser fortement à Simone et à mon beau fantôme de Boisaumont pour résister à la tentation. Je comprends mon hôtesse qui m'avait déconseillé cette visite.

- J'espère vous revoir monsieur Demoulin, si vous avez envie de bavarder vous pouvez venir même le lundi, c'est mon jour de fermeture, vous sonnez à la petite porte, je m'absente rarement.

Décidément, les femmes avides de rencontres ne manquent pas dans ce village, je n'ai pas un physique de Don Juan sur le retour, mon côté sympa et ouvert probablement et plus certainement, le désir de nouveauté, le besoin de combler un ennui évident.



13/10/2012
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