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Un second souffle

Les braves indigènes de Boisaumont doivent se demander ce que je cherche dans les rues et ruelles de leur hameau; il fait un temps superbe, un petit vent d'est tempère les ardeurs du soleil, la dame devrait sortir, faire un tour de bicyclette de ce temps... non, personne, je scrute les courettes où  quelques anciens somnolent sur leur banc mais point de blonde à l'horizon, elle ne sort que les jours d'orage, probablement...Et si j’avais eu des visions dans la baraque du cantonnier, si j’avais rencontré un fantôme ? la disparition brutale de la cycliste avait un côté ésotérique.

Je continue sur ma lancée, monte vers la forêt, la route se rétrécit mais reste praticable;  je pénètre dans une frondaison épaisse, les hêtres et les chênes forment une voûte qui ne laisse passer que de rares rayons de lumière, une certaine fraîcheur et une odeur de feuilles mouillées émanent des talus; je débouche sur un plateau et arrive à un carrefour, je suis déjà venu faire du vélo sur cette route forestière, cueillir du muguet dans les sous-bois au mois de mai, ramasser des faines en automne. Rien n'a changé, la nature se renouvelle sans se modifier vraiment, j'hésite un peu  puis finalement je prends le chemin de droite, roule une centaine de mètres entre deux immenses piles de bois de chauffage, je cherche un endroit pour faire demi-tour mais c'est impossible, je dois poursuivre ma route ou reculer.

Bien mal inspiré cet automobiliste, il s’est arrêté sur le chemin, pratiquement en plein milieu, bloquant complètement le passage; j'approche au ralenti, personne dans la voiture, le capot est levé, je suppose que le conducteur est penché sur son moteur. Je descends, une femme émerge de l'avant.

- Vous êtes en panne?

- Le moteur s'est arrêté d'un seul coup, je n'y comprends rien, une voiture  neuve.

- Vous avez encore de l'essence?

- Du gasoil, c'est une diesel, oui, j'ai fait le plein ce matin, vous vous y connaissez un peu en mécanique?

Je ne suis pas un spécialiste, j'ai simplement une certaine habitude des voitures, depuis le temps que je roule.

La femme est jeune, la petite trentaine, grande, mince, jupe très courte qui dévoile des jambes dignes d'intérêt et qui compense un visage un peu ingrat dominé par des yeux pas tout à fait synchrones.

- Vous pouvez donner un coup de démarreur s'il vous-plaît?

Rien, pas le moindre hoquet.

- L'impression que le carburant n'arrive plus.

- J'ai senti comme un choc quelques mètres avant la panne.

- Un choc, sous la voiture?

- Oui, comme si j'avais heurté une pierre, ou une branche.

- Possible que le tuyau d'alimentation soit percé, une prise d'air, le gasoil ne monte plus, c'est la panne.

- Que vais-je faire? c'est une catastrophe.

- Vous vous promeniez?

- Pas vraiment, j'allais récupérer mon mari et mes enfants, ils vont m'attendre, ils vont être inquiets.

- Ou sont-ils? dans les environs?

- Chez mes beaux-parents à La Valade, nous habitons à Boisaumont.

La détresse de la dame longiligne, son allure de petite fille grondée, fait resurgir mon côté bon samaritain.

- La Valade? ce village est relativement proche il me semble?

- Tout de même six à sept kilomètres, sur l'autre versant.

- Je peux vous y conduire si vous voulez.

- Vous êtes chic, cela ne vous dérange pas au moins, c'est sûr?

Je demande à la dame de se mettre au volant de sa voiture en panne.

- Braquez à droite au maximum.

- Le volant ne tourne pas.

Une direction assistée, manquait plus que cela.

Je réussis a braquer les roues et je pousse.

La manœuvre est malaisée, le terrain est un peu  humide sur le côté du chemin, je glisse mais  parviens à dégager suffisamment de place pour mon passage.

Je ne fais pas tout ce travail pour rien, j’ai un plan, puisque j'ai une habitante de Boisaumont à ma portée, nul doute qu'elle va pouvoir me renseigner utilement.

J'attaque de suite le sujet qui me préoccupe.

- Une dame blonde, vous dites, d'une trentaine d'années? non, je ne vois pas...  une bicyclette rose?.. avec un porte-bagage?. attendez, le vélo je crois le connaître, c'est celui de mademoiselle Adèle, seulement elle doit avoir dans les soixante dix ans facile et ses cheveux sont plutôt gris, blancs même.

- Cette demoiselle réside dans le hameau?

- Vous n'avez jamais entendu parler de mademoiselle Adèle? c'est la propriétaire de la belle maison, dans le bas, juste avant le pont.

- Un domaine clos par une barrière en bois?

- Exact, elle est propriétaire de forêt et de terres, son père était exploitant forestier  je crois.

- Monsieur... Fontaine?

- Dans le mille, il est mort il y a plus de vingt ans, son épouse quelques années après, mon mari pourrait vous en dire plus, il est originaire d'ici, moi je n'habite  à Boisaumont que depuis mon mariage, je ne pouvais les connaître.

J'ai progressé dans mes recherches, je sais déjà où est basée celle que j'appelle mon arc-en-ciel. Bizarre, chaque fois que je passais devant cette propriété, je ressentais un petit pincement au cœur, le nom de Fontaine m'est revenu spontanément.

Difficile d'engager une conversation utile avec le mari, il bougonne, ne parle que de sa bagnole, très mécontent le monsieur, la grande aux belles gambettes va prendre un savon, elle s'y attend, se recroqueville  sur la banquette arrière, laissant ses deux chenapans faire le cirque; c'est moi qui doit élever la voix pour exiger un peu de calme dans l'habitacle.

Il faut obligatoirement stopper à hauteur de la voiture immobilisée, l'homme lève les bras au ciel, monte dans son idole, donne en vain plusieurs coups de démarreur, examine le moteur tout en  continuant à ronchonner.

- Tu as roulé beaucoup trop vite dans ce chemin, tu ne fais jamais attention, faut appeler le garagiste tout de suite, pas question de la laisser dans les bois cette nuit, avec les voleurs qui rôdent partout, demain matin il ne resterait plus que la carcasse.

- Michel, dépêche-toi, monsieur ne peut passer sa journée avec nous, nous l'avons assez embêté.

Je suis bien content de larguer tout ce beau monde, mes renseignements resteront limités pour aujourd'hui; le rustre grogne un semblant de merci, son épouse, se montre nettement plus déférente, elle fait le tour de la voiture et vient à ma hauteur.

- Si vous revenez dans les parages, passez me voir, je suis toujours à la maison en semaine.

Son sourire est engageant alors que ses yeux continuent à faire preuve d'une grande indépendance, cette dame rechercherait-elle un peu d'"amitié"?

 

 



09/10/2012
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