Le bois des grives
-Vous continuez à exploiter votre ferme ?
Je fais diversion avec l’intention de revenir sur son affaire, un petit détour est toujours profitable.
- Je ne fais plus que de la viande, j’engraisse des charolais durant l’été dans mes parcs et je fais un peu de foin pour compenser la rareté de l’herbe en cas de sécheresse, pour tenir, il faut se spécialiser, les investissements sont lourds dans l’agriculture.
-Vous travaillez seul ?
-Oui, je prends des ouvriers occasionnels pour réparer les clôtures et en période de fenaison.
-Vous avez clamé votre innocence et vous maintenez, mais qui pouvait vous en vouloir à ce point pour vous faire endosser un crime ?
-Un beau coup monté, Gauthier était honni par beaucoup mais j’étais le seul à le crier sur les toits, un assassin tout désigné.
-Il avait des ennemis, pourtant j’ai vu qu’il avait été maire du village pendant seize ans, conseiller général pendant douze ans, il était à chaque fois réélu.
-Il passait tout juste, seulement il n’a jamais eu de véritables adversaires en face de lui, il était élu par défaut, regardez le résultat du second tour des dernières élections au conseil général, plus de 40% d’abstention…j’ose dire que sa disparition a soulagé quelques personnalités du canton, il les tenait, c’est bizarre que les gendarmes qui ont enquêté n’ont pas gratté un peu de ce côté.
-Ils avaient un coupable désigné.
-C’est vrai, ils n’ont pas cherché plus loin.
-Expliquez-moi ce qui s’est passé le jour du crime, vous êtes monté vers la forêt en moto, vous aviez votre fusil en bandoulière affirme un témoin.
-Exact, je n’ai pas nié, j’ai un parc à l’orée du bois des Grives, je savais que la chasse de ces messieurs les notables allait se dérouler dans ce secteur, je n’avais pas donné l’autorisation de chasser sur mes terres mais ils ne s’en privaient pas, plusieurs fois ils sont venus tirer des sangliers, au risque de tuer des bovins, cela se produit parfois et puis les coups de feu affolent les bêtes qui forcent la clôture et se perdent dans les bois, je ne vous dis pas la galère pour les récupérer, j’avais averti qu’à la prochaine chasse, je viendrais sur place avec mon fusil et qu’ils n’avaient plus intérêt à pénétrer dans ma propriété.
-Vous aviez averti le Maire ?
-Indirectement, il avait une annexe de son bureau en ville, le bar St Hubert, le rendez-vous des chasseurs, quand un administré avait des doléances à formuler, il lui suffisait de les déclamer au comptoir, le patron était l’un de ses sbires, il lui faisait un rapport illico.
-Ensuite, que s’est-il passé ?
-Je me suis posté à l’orée du bois, j’ai entendu les cris des rabatteurs, un coup de fusil puis encore des cris, ensuite un silence qui me paraissait bizarre, j’ai attendu un peu puis je suis redescendu chez moi, à peine trois heures plus tard, les gendarmes arrivaient et, sans me dire pourquoi me mettaient les menottes, ce n’est qu’en arrivant à la gendarmerie que j’ai compris, je tombais des nues, j’ai commencé par hurler que je n’étais pas le coupable, ensuite je me suis calmé, certain que j’allais être innocenté…
-Et qu’aviez-vous fait de votre fusil ?
-Je l’avais déposé dans la remise en attendant de le ranger.
-Mais comment se fait-il qu’il ait été repêché dans un étang.
-Pas celui-là, j’en avais plusieurs, celui qui a été retrouvé dans la flotte m’avait été volé, quand je vous dis que le coup était parfaitement préparé
-Où était-il habituellement?
-Accroché à son râtelier, avec d’autres, dans une pièce située au fond de la remise, ce local est fermé à clé mais…
-Mais quoi ?
-N’en parlons plus voulez-vous.
Jeannette devait écouter à la porte, elle revient.
-Si parlons-en, moi j’aimerais connaître l’individu qui m’a privé de mon père pendant quinze ans, nous le connaissons certainement.
-Vous soupçonnez un proche, quelqu’un qui connaissait l’existence des armes entreposées, la porte du local avait été forcée ?
-Non, je mettais la clé dans un petit panier suspendu à un crochet, le voleur le savait…Peut-être un ancien employé de la ferme ?
-N’accuse pas sans savoir papa, mais c’est vrai que c’est troublant.
-Quand vous avez pris votre fusil pour aller vers les bois, vous n’avez pas constaté la disparition de l’autre ?
-Je laisse souvent mon fusil de chasse habituel dans la remise ou dans le garage, celui qui a été utilisé pour tuer Gauthier est plutôt une arme destinée au gros gibier…Une carabine a également été volée, c’est quand les gendarmes m’ont ramené ici avant la soi-disant reconstitution que je m’en suis aperçu.
-Vous leur avez signalé cette autre disparition ?
-Non, c’était une arme de guerre, elle n’était pas démilitarisée, vous comprenez, je n’avais pas le droit de détenir une telle pièce, j’ai préféré me taire, cela risquait d’aggraver mon cas.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 10 autres membres