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Un été ordinaire

Se mettre à la même table qu’une incendiaire et un agresseur de fillettes, tout deux à la fois fraudeurs me semblait impossible, pourtant, je n’éprouvais pas une réelle répulsion pour ces deux êtres mis à nu, à la limite ils me faisaient plutôt pitié. Ma tante rongeait son frein, ce non-remboursement des assurances, c’était un manque à gagner évident, un coup terrible pour une pingre de son espèce.

 L’affaire allait être étouffée, je le pressentais, mon père avait téléphoné plusieurs fois au capitaine Allard et j’avais entendu une conversation édifiante. La dernière phrase prononcée par mon père était un chef-d’œuvre. «  Vous n’aurez pas affaire à un ingrat, au moins, tout de même »

Quant à Emilien il maintenait sa position, me soutenant que le chalet avait flambé à cause de lui, il me ferait passer pour fou.

- Bien sûr que c’est moi, j’ai foutu le feu sans le vouloir, en brûlant les branchages, tu a vu les gendarmes l’ont admis, j’ai même procédé à une reconstitution de l’accident, alors pourquoi jouer les étonnés.

- Tu avoues pour le chalet mais par contre tu as trouvé un alibi convaincant pour l’incendie de la scierie.

- Je n’avais aucun alibi, quand les gendarmes m’ont interrogés, ils connaissaient déjà le coupable...la coupable... j’ai tout simplement dit ce que j’avais vu cette nuit-là ... je sais tout que je leur ai dit et c’est vrai que je savais tout, j’étais descendu de mon pigeonnier pour aller pisser, je commence à avoir des problèmes de prostate, ça me réveille en pleine nuit cette saloperie-là, j’ai vu une ombre boiteuse revenir de  l’atelier avec un bidon d’essence à la main, crois-tu que l’alerte aurait été donné aussi rapidement ?

- Je sais tout ? C’était toi, le papier dans la savate.

Emilien sursaute.

- Comment, la taupe t’a raconté?

J’informe le légionnaire de sa bévue.

- Merde alors, je me suis gouré...c’était dans le noir...Je comprends mieux l’absence de réaction, je me disais, la grise a du cran, elle ne bronche pas...Marina devait se demander ce que je savais à son sujet...l’imbécile.

Une bonne nouvelle à annoncer, notre secret est bien gardé, et comme ...pirojki c’est fini, Marina et moi garderont un bon souvenir, moi c’est certain, elle je l’espère.

Je devais être prudent avec Félicia, j’aimais bavarder avec elle mais en gardant mes distances, par la faute de mon père, il m’était impossible d’attaquer ouvertement, je me serais senti coupable. Pourtant c’est elle qui provoquait une rencontre inopinée alors que je sortais de  la boulangerie.

- Je peux remonter avec toi, je vais chez maman...remontons par là.

 La fille d’Anna m’entraînait dans une ruelle bordée de grands murs, j’évitais habituellement cet endroit désert où une odeur nauséabonde régnait, ce passage rejoignait la rue principale en débouchant près de la mairie. C’était un lieu propice aux rendez-vous, d’ailleurs  les amoureux l’appréciaient à la nuit tombée, les murs servaient de supports à des déclarations, à des messages et à d’autres écrits moins romantiques.

Me retrouver avec la jolie brune dans cette ruelle excitait ma convoitise, j’essayais de l’enlacer.

- Je n’ai pas le cœur à m’amuser, même avec toi, tu n’es pas au courant, ton père va nous mettre à la porte de l’usine.

- Qui nous?

- Maman et moi.

- Cela m’étonnerait, ta mère est la meilleure ouvrière de la caisserie et toi tu te défends bien, je t’ai vu travailler.

- Si je te le dis.

- Mais la rénovation du logement des Ramirez va être terminée, avant quinze jours vous serez dedans.

- D’autres certainement, mais pas nous, tu peux me croire.

- Et d’où viennent tes sources ?

- Ton père m’a convoqué dans son bureau en bas et il a été clair, puisque je refuse de lui céder... dehors les putains, voilà ce qu’il m’a dit.

 

- Décidément, la seule chose qui te fait bouger  c’est le sort de certaines demoiselles de basse classe.

Je venais d’intercepter mon père alors qu’il sortait d’un hangar de stockage.

- Maintenant elles résistent les filles de basse classe, ce ne sont plus des oies blanches, tu as chassé Manou parce que elle te tenait tête, tu n’en feras pas autant avec Félicia.

- Voyez-vous cela, monsieur Frédéric Don Quichotte, depuis quand les jouvenceaux de ton espèce se permettent de juger les anciens? Tu as encore beaucoup à apprendre mon garçon, la vie n’est intéressante que si elle comporte des moments exaltants, chacun ses exaltations,  je me demande si tu es normal, tu n’oses approcher les femmes, dévergonde-toi un peu que diable.

Le ricanement de mon père me donnait des envies de vomir, j’allais abandonner la lutte mais une attitude aussi abjecte m’obligeait à vider mon sac. Sans détour, je lui annonçais qu’il était cocu et que l’auteur de son infortune était en face de lui.

- Moi aussi j’ai besoin de moments exaltants et c’est avec les femmes épanouies que je trouve mon plaisir, blondes de préférence, avoue que cette disparité entre nous est curieuse.

Le sourire narquois avait fait place à un rictus, je me demandais ce qui allait se passer. Je restais sur mes gardes mais mon père lâchait prise, reculait et allait s’appuyer contre un poteau de bois, il me regardait comme s’il me découvrait pour la première fois. Son visage était blême, ses lèvres tremblaient sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche puis il s’effondrait. Je fonçais au bureau, Simone ameutait tout le secteur, mon père était transporté jusqu’à la maison, Marina accourait elle aussi.

- J’appelle le docteur, c’est certainement un malaise cardiaque.

 



10/06/2011
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