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Un été ordinaire

- Je te cherche à un bout de la propriété et tu es à l’autre, qu’avais-tu de si urgent à confier à Marina, et que se passe t-il entre toi et elle, l’impression que vos rapports se sont améliorés; enfin, depuis le temps que j’attendais une preuve de maturité naissante, ta prochaine entrée à l’université  coïncidera avec ton entrée chez les adultes.

Une règle que je ne voulais pas transgresser durant les grandes vacances, c’était celle qui bannissait toute allusion aux études, je venais d’obtenir mon bachot sans problème et rentrerais en faculté de droit. J’étais inscrit, j’allais loger chez des amis de mon père et nous avions convenu de ne plus parler de la prochaine rentrée.

- Odette a commis une bourde, je sais tu vas me dire que c’est son habitude, écoute-moi, tu connais Ramirez? c’est le meilleur bûcheron que nous n’ayons jamais eu, non seulement il abat un travail considérable...

- Des arbres aussi?

- Je t’en prie tes mots d’esprit sont mièvres et déplacés...tu me fais perdre le fil de mes idées...oui, en outre, c’est un véritable moteur pour l’équipe, l’émulation engendre des rendements exceptionnels, bref, c’est un élément que je tiens à conserver dans une équipe qui trop souvent était boiteuse.

- Et tu crains que la mise à la porte de sa fille ne l’indispose.

- Voilà, tu as tout compris, décidément tu t’améliores, c’est une bonne nouvelle au moins.

- Et tu veux que j’intercède, que je demande à mademoiselle Manou Ramirez la faveur de réintégrer la caisserie, ainsi son père restera dans l’équipe forestière.

- De mieux en mieux.

- Crois-tu que Ramirez soit fâché? Pas l’impression, j’ai vu sa femme, elle est contente de voir sa fille sortir de la caisserie pour rejoindre la villa des Lenoir.

- Tu m’étonnes? Et le salaire, elle va être payée en monnaie de singe, je connais Lenoir, c’est un pingre, et sa femme est une chipie...bon, c’est tout,  n’insistons plus, je pensais te faire plaisir et je tombe à côté, mes renseignements étaient donc erronés, il m’avait été rapporté que tu étais sensible aux charmes de la demoiselle, je pensais que ta précipitation à barder la caisserie était motivée par cette attirance. Je suis déçu, si ce sont des considérations purement sociales,  tu ne seras pas à la tête de notre entreprise bien longtemps, quand je serai disparu bien évidemment.

- Mais  toi, quel motif avances-tu pour me demander de faire une telle démarche, considération sociale?

- Considération financière, je te le répète, Ramirez est un excellent ouvrier, et également considération morale,  la réparation d’un acte inadmissible, ta tante outrepasse ses droits et agit comme au Moyen-Age, il faut savoir doser la sévérité tout de même.

Je me demande s’il est bien utile d’analyser les réactions de chacun, les miennes sont fréquemment illogiques, celles des autres le sont tout autant, celle de mon père est surprenante mais elle doit s’inscrire dans une certaine logique, laquelle?

 

 Je croise Marina. 

- Ta tante devrait changer ses lunettes, ce matin elle est sorti avec mes sandales, ce ne doit pas être la première fois, un matin, j’avais remarqué des traces de sciure alors que je ne vais jamais dans les ateliers ainsi chaussée.

L’odeur d’essence, imprégnée dans le peignoir et sur les savates. Elle a fait  une erreur la taupe grise, volontaire peut-être, elle est assez sadique pour vouloir charger sa presque belle-sœur. Oui mais elle se serait débrouillée pour les enquêteurs aillent renifler les sandales. J’ai fais fausse route, je serais un piètre détective, c’est trop compliqué cette histoire. Et le billet? Si le corbeau s’était lui aussi trompé de chaussure? Si JE SAIS TOUT s’adressait à l’incendiaire et non à la femme adultère?

 

- Papa va à une réunion en mairie ce soir.

- Oui et alors.

- Alors, tu me feras des pirojki, c’était bon?

- Tu y penses encore, tu avais vraiment apprécié ou tu veux me flatter pour arriver à je ne sais quel dessein.

J’aurais voulu qu’elle prononce le mot qui représente à mes yeux le summum de la volupté, de la luxure, oui c’est cela de la luxure. Quand j’irais me confesser l’an prochain avant de faire mes Pâques, je vais avouer dans le secret du confessionnal que j’adore les pirojki, le curé va avoir une attaque.

- Tu as la mémoire courte petit Fred, je t’ai prévenu, deux fois mais jamais trois, tu sais que je suis contre les proverbes et autres âneries de ce genre, je regrette.

Ah! Quand même, elle regrette. Il va falloir que je me résolve à aller traîner mes envies  du côté de la bicoque d’Anna... et Carmen? à défaut de sa fille. N’importe quoi, je divague, c’est la sève qui monte répète souvent Fernand.

Je parviens à chasser mes pensées érotiques en passant à proximité de la buanderie, les deux paires de sandales sont toujours côte à côte, si seulement celles de Marina pouvaient parler. Que diraient-elle, qu’elles ont été enfilées par erreur par une bonne femme plus lourde qu’habituellement, aux pieds plus courts et dépourvus de charme, à l’odeur forte,  qu’elles sont allées se promener en pleine nuit près du silo à sciure, qu’elles ont reçu quelques gouttes d’un liquide  sur le bout du nez, qu’elles ont vu un éclair et des flammes avant de faire demi-tour. L’une pourrait ajouter qu’elle a vu un drôle d’oiseau tout noir venir en cachette  déposer un objet dans sa niche. Si le capitaine au long cou revient, je vends la mèche, tant pis si cela met le feu aux poudres, quel plaisir d’aller voir ma tante derrière des barreaux, de lui tendre un carré de chocolat au lait et aux noisettes et de le retirer d’un coup sec avant qu’elle ne s’en saisisse. Je lui apporterais les oranges sanguines qu’elle a retournées chez l’épicière, elles doivent être dans un bel état, c’est tout juste bon pour une taupe, à plus forte raison grise.

L’incendie et la menace planant au-dessus de l’indemnisation éloignent les bonnes résolutions concernant la construction de lieux d’aisance à la cité de la Fontaine. L’entreprise avait terminé les travaux et remballé outils et matériel alors que plusieurs courageux résidents avaient déjà entrepris le creusement de leur fosse. Fernand exprime une certaine amertume, comptant sur moi pour faire un rapport.

- Comme je te l’ai déjà dit, les patrons risquent d’avoir de mauvaises surprises, je sais que quelques bons ouvriers ont été contactés par la concurrence, une boîte qui promet une meilleure paye et de meilleures conditions de travail, moi-même j’ai été racolé, je  l’avoue parce que je ne quitterai jamais Delanaud, mon père a travaillé ici et il me reste une douzaine d’années à tirer.

Je promettais de parler de ces problèmes à la haute direction et  abordais  un autre sujet,  l’incendie.

- Si un salaud a mis le feu volontairement, c’est sûrement pas un ouvrier, aucun n’aurait envie de détruire son outil de travail, cela ne se fait pas, ou alors un ancien ouvrier, un retraité, qui sait? Les gendarmes m’ont posé des questions là-dessus, que veux-tu que je réponde.

- Quel concurrent essaye de débaucher nos ouvriers?

- Tu t’en doutes, la nouvelle boîte installée à Maraucourt, ils ont les dents longues ces gens-là, ils fabriquent du mobilier pour les écoles, les casernes, les administrations, ils ont leurs entrées dans les ministères il paraît, ils doivent graisser des pattes à gauche et à droite,  ils ont aussi un chariot élévateur, un fameux manitou, tu devrais aller faire un tour incognito. Tu peux prendre ma mobylette pour y aller, quand tu veux.

J’avais formulé une demande pour avoir une moto afin de pouvoir me déplacer autrement qu’à vélo mais j’avais reçu une fin de non recevoir, le ‘tout de même’ avait été répété.

- Tu es le seul héritier de la dynastie, la durée de vie d’un motocycliste est réduite, les statistiques le prouve, il n’en est pas question et il n’en sera jamais question, tout de même.

Je n’avais plus qu’à attendre l’âge de pouvoir conduire une automobile, seulement la durée de vie d’un automobiliste est-elle réellement plus longue que celle d’un motocycliste ?

………



23/05/2011
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