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Le grand verger (suite)

- Olivier, te voilà enfin, nous nous faisions un sang d'encre, tu rentres à des heures impossibles, cesse d'aller à Prévocourt, pour rencontrer ce Michel Mathieu, tu te rends compte, un commis de culture.

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A chacun de mes retours, avec quelques variantes, ma mère entonnait ce refrain, elle ne savait pas ce qu'était la pauvreté, elle était née et vivait dans la soie comme disait tante Alice qui par contre avait eu une enfance beaucoup moins facile. Personnellement, je ne voyais aucun déshonneur à fréquenter des gens de conditions modestes, la famille de Michel m'avait semblé aussi respectable que la nôtre, mis à part le confort. Les Mathieu logeaient dans une bicoque en planches disjointes, il fallait parfois des bottes pour traverser le terrain marécageux qui les entourait, mais l'intérieur était propre, les huit enfants  bien élevés. Le chef de famille ne travaillait pas régulièrement, il était considéré comme un fainéant, seulement, j'avais constaté combien cet homme souffrait d'ennuis respiratoires jamais soignés.

- Va voir ta tante, elle te réclamait, je crois qu'elle a quelques gros travaux à te confier demain matin.

Tante Alice ne joue pas dans le même registre que le reste de la famille, au sens propre et au figuré, excellente pianiste, elle est plutôt jazz et variétés alors que sa chère fille ne connaît que Chopin et compagnie. La musique classique correctement interprétée, passe encore, mais, massacrés par Béatrice, les impromptus du compositeur Polonais deviennent des supplices épouvantables, ce doit être la raison qui m'a éloigné du clavier que ma mère désirait me voir caresser.

- Enfin monsieur daigne se présenter, tu étais parti courir la gueuse je présume, un peu normal à ton âge, méfie-toi de la femme, elle peut la meilleure ou la pire, une bénédiction ou une calamité.

Alice rit de bon cœur, j'aime son rire, j'aime son visage toujours gai, comme illuminé, quel contraste avec celui de ma mère,  empreint de nostalgie, fermé, impénétrable.

- Je reviens de Prévocourt.

- Encore ton fameux Michel Mathieu, sais-tu que tu commences à m'inquiéter sérieusement mon petit Olivier, tu n'es pas comme ton grand-oncle Sébastien tout de même? j'espère que tu vas t'émouvoir devant les filles plutôt que de fréquenter un garçon, à dix-huit ans révolus.

Je rassure tante Alice, sans entrer dans les détails, j'avoue que j'aime les femmes, que je suis déjà tombé amoureux une bonne dizaine de fois, que j'ai flirté et que  même une fois, avec Suzette, la fille du boucher... mais j'avais été déçu...

- Avec une fille de ton âge, c'était normal que ce ne soit pas une réussite la première fois,  deux apprentis ensemble ne donnent rien de bon, un conseil mais ne le répète surtout pas à ta mère, trouve-toi une maîtresse plus âgée, plus expérimentée, même une femme... mariée, dans le temps les jeunots se dégourdissaient dans les bordels, il sont clos à présent...  passons aux choses sérieuses, demain j'ai besoin d'un homme solide, je vide mes armoires et mes placards, ils débordent,  je fais un tri, tout ce qui ne sert plus ou rarement, à dégager, comme votre étage est encombré et que les combles sont le domaine des souris, j'ai pensé à la chambre verte, depuis le temps qu'elle est vide, que personne ne veut coucher dans cette pièce et tu sais pourquoi, elle va se rendre  utile.

La chambre verte,  il fallait éviter de parler de cette maudite pièce, quand Charles l'évoquait devant ma mère, c'était pour  la torturer. A force de questions insidieuses, de décodages, j'avais compris qu'il s'était passé quelque chose de grave dans cet endroit, mon père était l'un des acteurs  d'une scène honteuse, sa complice était une employée du château, une bonniche selon Saint-Charles le puritain, cet événement s'était déroulé le premier janvier 1940 et grand-mère avait surpris les deux coupables. 

- Tu as un problème mon grand, tu n'as pas l'air dans ton assiette?

J'avais envie d'oublier la chambre verte et le reste, je raconte ma découverte au bord de la route, le paria presque mort, ma démarche à Prévocourt, le docteur.

- Mon Dieu, ce n'est pas possible, et c'est toi qui ...



18/10/2010
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