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Carole me fixe un rendez-vous à Charville, elle est évasive quand je lui demande le motif de cette demande mais je devine qu’il a un rapport avec le drame qu’elle a vécu l’an dernier.

Charville est un bourg agréable, niché dans la vallée d’une petite rivière, dominé par des collines boisées, les maisons du centre sont anciennes, la place de la Mairie a conservé une halle datant du 17^ème siècle, classée aux monuments historiques. De nombreuses villas et résidences secondaires parsèment les coteaux environnants. Une petite cité bien tranquille mais je suis certain que le drame de l’an dernier reste un sujet de conversation, particulièrement lors de la retransmission d’un match de football.

J’aborde la rue principale de Charville, bordée de commerces qui semblent en bonne santé, après la place de la Mairie, je descends vers la rivière et franchit un pont. Je suis dans l’un des quartiers résidentiels, de nombreux arbres, un parc où des enfants jouent, puis je monte une route en lacets avant de déboucher sur plateau qui domine la vallée. Les grilles de la propriété sont ouvertes, je reconnais la belle demeure en pierre du pays, construite sur plusieurs niveaux, épousant la pente du terrain. J’aperçois, derrière quelques bouleaux, l’atelier de sinistre mémoire. Deux voitures sont garées sur le parking.

Madame Bartin vient m’attendre devant la porte d’entrée en haut d’un escalier de quatre marches, me souvenant des photos où elle était avec son mari, je l’imaginais plus élégante. Elle est chaussée de savates en toile, vêtue d’une blouse ample et grise, ses cheveux sont coupés courts.

-Merci d’avoir  répondu aussi vite à ma demande monsieur Passy.

Nous traversons un vaste hall au sol de marbre, plusieurs tableaux sont accrochés aux murs, des niches abritent des statuettes, un décor luxueux.

Elle m’introduit dans un salon, un homme se lève d’un canapé et me serre la main.

-Christophe, mon petit frère.

Petit ! Il domine sa sœur d’une tête et moi de quelques centimètres.

Carole Bartin m’invite à m’asseoir sur un fauteuil placé en face d’une porte-fenêtre qui s’ouvre sur un magnifique paysage forestier, les feuilles naissantes offrent d’agréables nuances de vert.

-Christophe est ingénieur, dans la pétrochimie.

-Je suis en France entre deux contrats, je viens de passer trois ans en Arabie Saoudite, je vais repartir dans une autre contrée du monde, plus précisément au Venezuela, je voudrais profiter de ces vacances pour régler une affaire qui nous tient à cœur, nous savons que votre métier de journaliste vous permet de mener des investigations et de résoudre des problèmes que les services de police ne peuvent suivre, nous savons que vous déjà dénoué des intrigues, ressortit des affaires classées avec succès.

Carole est restée debout, devant la porte-fenêtre, elle froisse nerveusement un mouchoir en papier.

-C’est assez compliqué à expliquer, disons tout de même que cette affaire pourrait avoir un lien avec le décès brutal d’Yves.

Nous y voilà, j’attendais cette phrase, le petit frère évite de dire accident, cause officiellement retenue.

-Carole, explique à monsieur Passy.

-Nous avons construit cette maison il y douze ans, sur un terrain de quatre hectares, deux ans plus tard, nous sommes contactés par un marchand de biens, spécialisé dans la vente de terres agricoles et de forêts, il nous propose à l’achat un bois privé attenant à notre propriété, d’une superficie d’environ soixante hectares.

-Celui que nous voyons d’ici ?

-En effet, le prix annoncé nous paraît élevé, nous hésitons, nous prenons conseil auprès d’un professionnel, en l’occurrence, un agent des eaux et forêts chargé de la surveillance du district. Après une estimation, le fonctionnaire nous donne un avis favorable tout en nous conseillant de négocier, de faire baisser le prix de dix pour cent, il nous assure que la qualité des bois et surtout la présence d’essences dites précieuses justifient ce prix.

-Soixante hectares ! La forêt est plus vaste j’ai l’impression.

-Oui, naturellement, les autres parcelles sont propriété de l’Etat, la configuration de la parcelle proposée est assez tourmentée, c’est une bande assez étroite sur le haut qui s’élargit et redescend en se rétrécissant jusqu’à un chemin touristique, comme un croissant de lune en fait, je vous montre le plan.

Carole déplie un plan.

-Voyez, une configuration bizarre.

-Vous avez déjà exploité des bois ?

-Pas vraiment, notre homme à tout faire, monsieur Chalan, chargé de l’entretien du parc et du jardin a effectué un peu de débroussaillage dans la partie haute, coupé quelques arbres abimés ou malformés qu’il a transformé en bois de chauffage pour notre cheminée.

Je me demande toujours où ils veulent en venir, cette histoire de bois est intéressante mais je doute que tous ces détails me seront éventuellement utiles.

-Je suis un peu longue mais je pense que vous avez besoin du maximum de renseignements.

-Je vous en prie.

-Yves signe un contrat de deux ans avec une équipe de soccer de Los Angeles, je l’accompagne, chaque mois, nous appelons monsieur Chalan pour avoir des nouvelles de la maison et pour lui donner d’éventuelles instructions, mais un jour c’est lui qui nous appelle, il nous informe qu’un fort coup de vent a déraciné quelques gros hêtres et brisé des résineux, qu’il est urgent de les exploiter sinon ils vont pourrir sur le terrain, c’est ce que conseille le garde-forestier. Yves décide de faire un saut en France pour constater les dégâts, non par manque de confiance mais cette forêt, il commençait à l’aimer.

-Vous êtes restée en Californie ?

-En plein hiver, oui, vous me comprenez… Yves constate qu’en effet des arbres ont souffert, surtout dans la partie basse, le vent avait soufflé violemment comme dans un couloir, monsieur Roland, le garde-forestier lui indique qu’il a un acheteur pour ces bois mais que leur valeur est dépréciée, il lui donne un chiffre presque dérisoire et lui demande de faire une facture à l’adresse de la scierie Godot d’Oréville, mon récit s’arrêterai là si Christophe n’avait découvert des choses anormales dans le Bois-aux-Loups.