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Le grand verger (suite)

Le sentier qui, partant de la route départementale conduit vers la résidence d’Albert est en mauvais état, pire que l’autre. Toujours en pleine forêt, utilisé régulièrement par les engins des débardeurs de grumes, il est défoncé, raviné et ...glissant.

 

Je m’attendais à cette chute, la moto tanguait dangereusement, ma passagère s’affolait, c’était inévitable.

- Ca va, rien de cassé?

- Je suis dans un bel état...et toi.

Nous éclatons de rire, maculés de boue de la tête aux pieds l’un et l’autre.

- Tu as choisi l’endroit idéal pour tomber.

- Et toi celui pour gigoter.

Nous remontons en selle et continuons doucement; curieusement, je sens moins de raideur chez Béa, la chute aurait-elle été bénéfique?

 

 - Vous avez plongé dans la bouillasse, vous êtes dans un bel état, si vos vénérables aïeux vous voyaient, ils auraient honte de vous, ils vous renieraient...venez vous nettoyer à la maison.

Albert coupait du bois à proximité de son ‘ranch’.

- Ton paternel t’as donné la permission de venir ici, dans l’antre de la bête sauvage, je parie qu’il m’envoie une ambassadrice de charme pour se faire pardonner de ses vacheries... tu sais qu’ainsi, couverte de terre glaise de la tête aux pieds, tu es ravissante demoiselle Montcy.

Béatrice se rengorge, bombe sa modeste poitrine, Alice avait tout à fait raison, les femmes sont sensibles aux compliments, même ceux habilement distillés par un affreux petit bonhomme dont la barbe repousse raide comme les piquants d’un hérisson, dont les cheveux redeviennent broussailleux.

- Pour les vêtements, il faut attendre que la boue sèche avant de frotter, remarque, si tu veux te déshabiller, ne te gêne par pour moi, j’ai vécu au Sénégal, j’ai l’habitude des nudités.  Allez vous rincer le museau à la cuisine et venez me rejoindre sur la terrasse, le soleil  tape fort à cette heure.

Maria veut me passer une serviette sur le visage, son linge sent le renfermé, je la repousse et sors mon mouchoir.

La plate-forme extérieure longe complètement le bâtiment, un bel endroit avec une vue sur la forêt toute proche.

- Alors paysans de Labréville, voyez comme nous sommes magnifiquement installés, un site agréable et sylvestre, les seuls bruits audibles sont les chants des oiseaux...et les miens.

Albert se met à chanter une vieille rengaine, sa voix un peu éraillée est juste, Béa applaudit. Le nabot se rengorge.

-Si j’avais eu une belle gueule, j’aurais fais du music-hall, Paris, Londres, New York, j’aurais été le Valentino Gaulois, toutes les femmes à mes pieds, malheureusement ma brave mère m’a raté physiquement.

Une longue table en madriers de bois est entourée de sièges en osier de formes différentes et curieuses.

- Fabrication maison, messieurs-dames, je vais chercher les brins de saule près de la fontaine, je suis devenu un spécialiste de la vannerie et de la menuiserie, vous pourrez dire à vos demeurés de la vallée qu’Albert et Maria sont heureux, qu’ils  ne regrettent pas les coups de pieds au cul.

La maîtresse de maison nous offre du cidre, il est le bienvenu d’autant plus que les verres ont une meilleure apparence que précédemment.

- Pendant guerre, nous recevoir beaucoup, faire des grands repas, quelques fois la fête sur  terrasse.

Les deux femmes parlent du passé et évoquent la vie au château  juste au début de la guerre.

Albert me saoule de ses phrases dithyrambiques concernant l’Afrique, ce sont surtout les femmes qui lui ont laissé les meilleurs souvenirs.

- Elles sont au petit soin pour le mâle, bien différentes de nos garces blanches, remarque j’aurais tort de me plaindre, j’ai tiré un bon numéro, Maria est la meilleure  maîtresse que j’ai connue, et j’en ai eu, crois-moi fiston.

Je l’aiguille vers une autre conversation, j’aimerais qu’il me parle de mon père.

- Jean était un type bien, autre chose que son frangin, un bon vivant, toujours disponible pour faire la bamboula, tu sais que c’est grâce à lui que j’ai récupéré Maria...tu aurais dû voir la Polonaise à dix-huit ans, une belle poulette mais farouche, une sauvageonne; elle avait tout de même succombé aux charmes de l’aviateur, l’uniforme et ...le reste.

Je pose encore une question avant de partir.

- Pensez-vous que mon père était un peureux?

- Quelle question, c’est sa mort qui te chiffonne, si tu écoutes ton oncle il te racontera des conneries, c’est un jaloux, le froussard, c’était lui pendant la guerre, d’abord il a baissé le froc devant les boches, encore il leur a léché les bottes. Jean se fichait bien de la mort et puis...

- Et puis?

- Rien petit, suffit pour aujourd’hui, nous nous reverrons, tu dois reconduire ta chère cousine...dis-moi gamin, si tu veux un bon conseil, elle est bonne à faire la Béatrice, entre nous...n’hésite pas.

Notre hôte m’aide à pousser la Norton jusqu’au chemin praticable.

- Sacrée bécane, avec ça tu dois soulever les jouvencelles, petit veinard.

 

- Un peu lassante la brave Maria, elle radote, mélange les date et les noms, je ne pourrais supporter sa solitude.

- Elle a son Albert.

Ma cousine sourit, ses yeux pétillent.

- Parlons-en de ce pseudo-Valentino, je me demande ce que les femmes de Labréville lui trouvaient de particulier...

Je pense faire un détour par le chalet des chasseurs, en pleine forêt, ma cousine sera peut-être réceptive. 

Elle doit deviner mes pensées.

-Rentrons vite Olivier, Vincent va s’inquiéter.

……………

 

 



17/12/2010
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