La carrière blanche
J’appelle Elisa Bertin et lui donne mon accord, je vais tenter de trouver des indices permettant de remettre éventuellement le suicide en cause.
-Un travail de longue haleine et sans garantie de résultat positif, à moins d’un miracle.
-Je vous fais confiance, pour approcher mon père, j’ai peut-être une solution, vous savez qu’il aime le football, qu’il est président d’un club de supporters de l’équipe locale.
Coïncidence, je voulais justement solliciter Romain, mon collègue de la rubrique sport, spécialiste du foot, afin de rencontrer Roger Valette, entraîneur des juniors du club local, c’est le veuf de l’ancienne secrétaire de Guy Bertin et j’aimerais savoir si son épouse lui avait fait des confidences.
-C’est d’accord pour monsieur Valette, je te fais signe, pour monsieur Monti, c’est plus difficile, il n’est pas très coopératif avec nous, il faudrait dire du bien de son équipe favorite même quand elle se traîne en fin de classement, comme c’est le cas cette saison, je te donne un tuyau, tu le trouves la veille d’un match à domicile, sur le coup de dix-huit heures, au bar de la Terrasse, c’est le rendez-vous habituel des supporters de la tribune principale.
Un bon résultat des juniors qualifiés pour un nouveau tour en coupe Gambardella donnait une occasion à Romain d’interviewer Roger Valette, je l’accompagnais sur le terrain d’entraînement.
-Le football me permet de surmonter ma peine, de combler un peu ma solitude, c’est tout de même dur, heureusement mes jeunes sont formidables, l’impression qu’ils se donnent à fond pour m’apporter des satisfactions… nous tombons sur une grosse pointure lors du prochain tour mais ce n’est pas perdu d’avance, nous allons nous battre jusqu’au coup de sifflet final.
J’évoque le décès de monsieur Bertin, employeur de son épouse.
-Annie a été touchée par cette disparition, elle l’estimait beaucoup, quatorze ans dans l’entreprise, huit ans sa secrétaire, Guy Bertin s’est montré particulièrement humain quand cette satanée maladie a commencé son œuvre de destruction, la ménageant, lui accordant des jours de repos supplémentaires sans toucher à son salaire mensuel, et dire qu’il est parti avant elle.
-Comment a-t-elle réagit à l’annonce de cette nouvelle?
-Elle n’a jamais cru au suicide, elle me disait qu’il avait les moyens de se défendre et puis que ce n’était pas un lâche, il n’aurait jamais laissé son entreprise et les salariés dans l’embarras et encore moins sa femme et son fils.
-Elle pensait donc à un meurtre ?
-Franchement oui.
-Avait-elle des soupçons ?
-Je ne lui posais aucune question, surtout dans son état, elle m’avait juste dit un jour « J’espère que ces salauds seront démasqués, depuis le temps qu’ils passent à travers les mailles du filet ».
Il est dix-huit heures quinze, demain le club de football joue à domicile, Joseph Monti est bien au bar de la Terrasse comme me l’avait indiqué Romain.
-Monsieur Laurent Passy, journaliste de notre chère Gazette Républicaine, c’est bien la première fois que je vous vois ici, seriez-vous devenu supporter de notre équipe alors qu’elle est en fâcheuse posture ?
Sa haute stature, sa voix de stentor, l’homme est un personnage hors du commun, mais je sais que sous une apparente rigueur, l’homme a du cœur, il a récemment hébergé gratuitement dans l’un de ses nombreux appartements, une famille sinistrée, victime d’un incendie, d’autres actions en faveur de sans-logis et de personnes en difficulté sont à mettre à son crédit.
Monsieur Monti n’est pas dupe, il sait que ma présence dans ce bar n’a rien à voir avec le football.
-Si vous voulez me parler du mon futur projet immobilier, c’est au bureau qu’il faut venir, ici, avec mes amis, j’oublie les soucis du travail, je décompresse.
-Je vous comprends, en fait, je voulais vous parler de Guy Bertin.
-Je m’y attendais, Elisa ne peut admettre la thèse du suicide, elle vous a sollicité ! Elle m’en avait parlé, m’avait demandé ce que j’en pensais, je lui ai dit fait comme tu l’entends, elle est têtue, c’est bien une Monti.
-Et vous, qu’avez-vous pensé de cette mort brutale ?
-Nous étions lui et moi sur le point de désamorcer la bombe posée par nos adversaires, d’ailleurs vous allez le savoir prochainement, c’était un gros souci en moins, maintenant j’ignore ce qui s’est passé, il avait peut-être d’autres ennuis, plus personnels, allez savoir ?
-Il avait reçu des menaces de mort paraît-il, et vous?
Monsieur Monti s’esclaffe.
-Alors là ! Depuis que je fais ce métier j’en reçois, je devine d’où ça vient, d’écolos utopiques et rétrogrades, ce sont des râleurs, mais ils sont non-violents, à peine reçues, leurs bafouilles vont directement dans la chaudière.
-Et du côté des affaires, vous venez de me dire qu’une bombe allait être désamorcée.
-Dans ce cas c’était moi l’homme à abattre, je suis le démineur, c’est ce que j’ai dit aux policiers le mois dernier.
-La Police Judiciaire vous a interrogé au sujet de la mort de votre gendre… le mois dernier ?
-Je suis comme vous, j’ai trouvé cette démarche plutôt curieuse, je pensais que l’affaire était classée, que le suicide était définitivement retenu, mais s’il vous plaît évitez d’en parler à Elisa, la plaie est encore vive.
-Votre projet, vous pouvez m’en dire quelques mots ?
-Je l’ai mis en sommeil pour le moment, vous en comprendrez la raison plus tard…Et puis, après tout, je peux vous le dire, j’ai acheté l’ancienne carrière de pierre calcaire, sur la route de Morcy, un peu plus de vingt hectares, la partie exploitée et les réserves, deux niveaux en somme, une configuration intéressante pour un ensemble immobilier original.
-La carrière blanche, celle où…
-Oui, celle où la jeune fille a été assassinée, justement, j’attends que l’affaire se tasse, j’aimerais que le ou les coupables soient démasqués avant d’en parler, merci de votre discrétion.
-Vous l’avez achetée quand ?
-L’acte a été signé en octobre de l’année dernière.
-Votre gendre était courant de cet achat ?
-Bien entendu, il était partie prenante, nous avions commencé à tracer les grandes lignes du projet, comme je vous le disais, une conception un peu révolutionnaire, sortant des sentiers battus, Guy était enthousiaste.
-Quand on a de tels projets, on n’a pas l’intention de se donner la mort, qu’en pensez-vous ?
-C’est vrai, vu sous cet angle !
Je pense au message de Mme Valette, elle évoquait probablement ce projet en citant monsieur Monti, certain de sa discrétion, son patron lui en avait parlé. L’adjectif « enthousiaste » venant du beau-père est significatif.
D’autres personnes étaient au courant de l’achat de la carrière par Monimmo, déjà le vendeur et le notaire, et si quelqu’un ou un groupe était opposé à la création d’un ensemble immobilier dans cette ancienne carrière ? Dans ce cas, monsieur Monti aurait été le premier visé, comme il aurait pu l’être concernant les malversations, quelque chose m’échappe, si l’entrepreneur a été assassiné ce n’est peut-être pas à cause des affaires financières, ni en raison de ce projet, je dois chercher dans une autre direction.Inscrivez-vous au blog
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