L'araignée rouge
Je m’attendais à rencontrer un homme ayant la tête de l’emploi, un professeur de français comme j’en avais connus au lycée et l’école de journalisme, Sylvain Vallon est un grand gaillard d’allure sportive et sympathique.
-Merci d’avoir accepté de m’aider dans mes démarches pour réhabiliter la mémoire de papa.
-Vous êtes certain de son innocence ?
-Jusqu’à son décès l’an dernier, maman a maintenu sa version, la jeune fille n’est pas restée longtemps, à peine cinq minutes et elle a emprunté un sentier longeant le canal pour rejoindre la rue.
-Votre maman est décédée.
-Quand le drame est arrivé, j’étais en poste dans un lycée de Dakar, au titre de la coopération, j’ai pris le premier avion pour revenir en France, maman était dans une profonde détresse.
-J’imagine, elle était près de lui quand il a été tué.
-Je voulais connaitre la vérité, maman m’a fait promettre de ne rien tenter, elle craignait pour ma vie, maintenant ma promesse ne tient plus, je veux savoir.
-Vous avez demandé votre mutation dans notre ville pour être à proximité de St Jean.
-Exact, je suis allé plusieurs fois dans cette ville, mais j’ai été immédiatement reconnu, je ressemble à papa et il a eu sa photo à la une de votre concurrent, plusieurs fois, avec les quelques questions que j’ai posées, j’étais identifié, ma voiture a eu les pires misères, les pneus crevés, un pare-brise étoilé, la carrosserie rayée, le tuyau d’échappement bouché, un phare cassé, les essuie-glace tordus, la liste est longue, et aucun garagiste de cette ville n’avait le temps de me dépanner.
-Cela ne me surprend pas.
-Et ces méfaits étaient signés.
-Signés, de quelle façon ?
-Regardez ces photos.
Sylvain me montre des clichés représentant des tags au feutre rouge, dessinés sur le capot de sa voiture et représentant une araignée.
-Cela ressemble à l’œuvre de gamins.
-Détrompez-vous, mon collègue professeur de SVT a reconnu l’araneus diadematus, plus communément appelé épeire, une araignée que l’on peut voir fréquemment dans nos jardins, voyez sur son dos, c’est comme une tête de mort.
-Vous êtes encore propriétaire du chalet ?
-Nous l’avions mis en vente dans une agence de Viramont mais j’ai l’impression qu’aucun acheteur n’est intéressé.
-Entre les deux villes, ce n’est pas l’entente cordiale, je doute qu’une agence immobilière de Viramont puisse faire des affaires à St Jean.
-Et le bateau ?
-Il est au port, je suis passé le voir, j’ai rencontré le gérant, une exception, je voulais lui payer la location de trois ans, il a refusé.
-Vous voulez le vendre aussi ?
-Je me le demande, j’ai quelques notions de navigation, de là-haut, mes parents seraient heureux si je le remettais en circulation.
Sylvain reste silencieux quelques secondes, je respecte son silence, c’est lui qui le rompt.
-J’ai appris que le crime de la jeune fille était classé sans suite et que les recherches concernant le tireur allaient bientôt suivre le même chemin.
-Je vous conseille de prendre un avocat.
-Vous en connaissez un qui accepterait de défendre ma cause ?
-Plusieurs, mais je vous donne un numéro de téléphone, celui de Sophie Lagnier, c’est une jeune avocate que j’ai eu l’occasion d’entendre plaider, elle est douée, ce genre d’affaire devrait l’intéresser.
Je préviens tout de même le fils Vallon, je ne suis ni policier, ni gendarme, mes recherches sont tenues de respecter la loi.
Je suis à l’aise cette fois, c’est le patron qui me confie cette mission, souvent, je dois parlementer pour obtenir le feu vert avant de me lancer dans des investigations. Nous avons les mêmes objectifs, éventuellement réhabiliter la mémoire de Jacques Vallon et puis, accessoirement troubler la quiétude de quelques personnalités de St Jean.
Je vais probablement rencontrer les mêmes ennuis que Sylvain dès que je vais franchir le pont et entrer dans la ville hostile, pour éviter des dégradations sur ma voiture neuve, je vais faire un échange avec Martine, sa Clio est déjà bien fatiguée, une bosse de plus ou de moins. Autre avantage, mon macaron de presse est certainement un danger supplémentaire.
Je commence mon enquête par Viramont, j’aime bien cette petite ville dynamique, les habitants sont sympas. Alors que St Jean, périclite, Viramont est en expansion, sa zone industrielle accueille des entreprises de pointe, la nouvelle zone commerciale prend de l’ampleur. D’ailleurs de nombreux Jeannais et Jeannaises travaillent à Viramont et viennent y faire leurs courses. Le pont qui relie les deux communes étant le seul lien, la circulation y est de plus en plus dense. D’autres avantages à Viramont, le stationnement est gratuit, c’est loin d’être le cas de l’autre côté où les policiers municipaux ont toujours le carnet de contraventions à la main.
J’ai de bons contacts à Viramont et je vais pouvoir recueillir quelques renseignements. Je commence par le restaurant du Pont tenu par Etienne Legardeux, un établissement qui vient d’obtenir sa deuxième fourchette au guide Michelin.
-Quel bon vent t’amène Laurent, un crime dans le secteur ?
Le drame de St Jean est encore vivace dans les esprits, Etienne, comme la majorité de Viramontais n’a jamais crû à la culpabilité de Jacques Vallon.
-C’était un bon client, il venait avec sa dame, un homme aimable et courtois, les Jeannais ont réussi leur coup, accuser un innocent et le supprimer dans la foulée, l’assassin de la jeune fille est certainement de leur bord.
Etienne commence à me parler des antécédents de St Jean dont ses parents sont originaires, je connais son histoire qui remonte à la révolution, je le ramène vers mes préoccupations.
-Tu as déjà entendu parler de l’araignée rouge ?
-C’était un troquet, juste à la sortie du pont, aucun Viramontais n’aurait osé le fréquenter, un nid de royalistes sous les différentes républiques, de pétainistes durant l’occupation, il a été fermé à la libération, l’enseigne est restée longtemps en place.
-Tu connais le patron du port ?
- Jean Leguen, un Breton, il vient régulièrement chez moi il s’était lié d’amitié avec Vallon, les deux couples sont venus plusieurs fois diner, à son avis, cet ancien officier de marine ne pouvait commettre un crime aussi odieux.
-J’avais justement l’intention de le rencontrer.
-Si tu veux le voir au port, dépêche-toi, je crois qu’il va bientôt prendre sa retraite, il vient d’acheter une maison à Viramont, au Coteau des Sapins.
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