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Un été ordinaire

- Que fais-tu ici Sylvette?

Nous sortions du chalet, dans une attitude qui ne laissait aucun doute sur  notre emploi du temps passé à l’intérieur, ma cousine devait être sur le ponton en bois depuis quelques minutes. Elle feignait la surprise de nous voir ensemble mais les larmes que je voyais prêtes à jaillir de ses yeux de chienne battue prouvaient qu’elle avait tout compris.

Marina prenait un air détaché et regagnait seule le logis, je prenais la fillette par l’épaule et l’entraînais vers l’autre chalet.

- Je me doutais que toi et Marina ça allait finir de cette façon... quand elle t’a fait ses ‘pirondki’ et qu’elle avait bu de la ‘volga’, elle te regardait de ses grands yeux, comme si elle voulait de manger et te boire aussi. En tous cas, c’est bien fait pour ton père...

- Je croyais que tu aimais bien papa, c’est grâce à lui si tu es restée avec nous.

- C’est toi qui le dis.

Sylvette sortait son mouchoir de façon plus élégante que ma tante mais se mouchait avec le même entrain.

- Avec qui viens-tu dans cette cabane, dis-le moi?

- J’ai juré Frédéric, j’ai juré...laisse-moi maintenant, je veux pleurer toute seule jusqu’à ce soir, laisse-moi tranquille...

 

- Alors l’Anglaise rousse, un beau morceau, toi aussi tu fait  dans la légion étrangère, une Polonaise, une Espagnole, maintenant une Britannique, si tu veux une Italienne tu as le choix entre Anna et Félicia.

Etonnant qu’Emilien soit dans les parages un dimanche après-midi, habituellement il descend dans le village sur le coup de onze du matin et ne rentre plus avant la fermeture du bistrot, vers minuit, quand il ne couche pas dans la grange des Gossot, trop saoul pour remonter jusqu'à son gourbi.

- Je ne connais aucune Félicia.

- Tu ne vas pas tarder à faire sa connaissance, c’est la fille d’Anna, sa mère va la récupérer, dès qu’elle aura le logement des Ramirez.

- Les Ramirez s’en vont?

- Toute la nichée.

- Et le père quitte la société Delanaud?

- Quelle bonne blague, remarque, ta boîte ne coulera pas à cause de son départ, au contraire.

- Mon père affirme que c’était un bon élément.

- Les jugements de ton père, excuse-moi de te le dire, sont souvent à l’envers de la vérité, Ramirez n’est pas le roi de la cognée, si avec sa femme et ses gosses...

- C’est un fou.

- Une petite danse de temps en temps cela ne fait pas de mal, si j’avais corrigé ma femme quand elle le méritait, elle serait peut-être restée avec moi.

- Tu as été marié ?

- Il y a bien longtemps, avant d’entrer dans la légion, d’ailleurs c’est quand elle s’est barrée que je me suis engagé, marre de bosser comme un con pour une paye de misère, marre du quotidien, marre d’avoir une femme tout le temps sur le dos, la légion faut pas croire, c’est dur mais c’est une sorte de liberté.

- Et cette fameuse Félicia,  elle a la cuisse légère comme sa mère?

- La cuisse légère, c’est comme ça qu’on dit dans le grand monde?  je n’en sais rien, tout ce que je sais c’est qu’elle est déjà bien balancée pour son âge, Anna m’a montré des photos, quinze ans qu’elle a... attention le saligaud qui a empoisonné  Manou et qui doit continuer avec Sylvette... faudra  mettre en garde la petite Italienne. Tu sais ce que nous allons faire  dès qu’elle sera ici,  la surveiller de près, à deux nous avons des chances de surprendre le sale type.

- Je suppose que Félicia  va remplacer Manou à la caisserie?

- Y a des chances, questionne voir ton paternel.  

 

  - Tu t’intéresses au personnel à présent, c’est nouveau... oui que veux-tu, Ramirez a trouvé un emploi dans le parc de loisirs des Fleurettes, comme jardinier paysagiste, mieux rémunéré et moins pénible, et puis la petite est casée chez le vétérinaire...la brave Anna est contente, elle va changer de domicile, et  figure-toi que sa fille va revenir avec elle, nous l’embaucherons certainement à la caisserie, d’après sa mère c’est une gamine solide et active...nous aurions dû acheter la carrière, Redman est un finaud, à peine les blocs de pierre tirés, ils sont vendus, peu de transformation, rentabilité immédiate, quand on pense que chez nous il faut des mois pour rentrer dans son argent.

- C’est effectivement un malin, il nous fait des ronds de jambe pour avoir les coudées franches sur le territoire de notre commune, nous serons prochainement invité chez lui, pour la pendaison de la crémaillère, gare aux maux d’estomac, ces Anglais ne savent pas faire à manger...

La taupe venait s’insérer dans la conversation, le ronronnement monotone des deux interlocuteurs me faisait bailler, la journée avait été assez longue et fertile en événements, je montais me coucher.

 

- Je te réveille mon petit Frédéric.

Je commençais à m’endormir, le souffle de Marina sur ma joue et les effluves de son parfum discret me surprenaient, elle était venue trois ou quatre fois dans ma chambre, quand j’étais plus jeune, quand je souffrais d’un rhume, elle m’apportait du sirop ou des cachets, ne s’attardant jamais.

- Que j’aimerais tant me glisser dans ton lit, rien que pour te sentir respirer près de moi.

- Tu as papa pour cela, que t’arrive t’il?

- Ton père...si tu savais...je voulais te parler mon grand... profiter que tu sois couché...

J’avais allumé ma lampe de chevet, l’ombre de Marina se projetait sur le mur, elle était énorme, déformée.

- Et si mon père te trouve ici.

- Il est allé bouder chez sa petite sœur, nous avons eu une  scène, pour une futilité comme d’habitude, les choses graves n’occasionnent que rarement des frictions...il faut que tu saches mon petit Frrred... je voulais te dire...

Marina venait de s’asseoir sur mon lit, elle fixait le plafond, je savais ce qu’elle avait à me confier et je craignais ses confidences. 

- C’était il y a bien longtemps, tu n’étais pas encore né, j’avais tout juste quatorze ans, nous habitions dans le village, une petite maison rue des Jardins...maman faisait des ménages, particulièrement  à la mairie et dans les écoles et je l’aidais de temps et temps, c’est à la mairie que j’ai rencontré ton père, dans son bureau...je le trouvais beau et il était tellement gentil, toujours un mot aimable, un compliment. Une fois, il m’a proposé de m’emmener en promenade dans sa belle voiture, tu penses que j’ai accepté, nous sommes allés dans les bois... ce jour-là je suis devenue une femme.

- A quatorze ans?

- Mais oui, ton père aimait les demoiselles et...

- Il continue à les aimer... Sylvette, c’est lui.

Marina ne répondait pas mais son silence en disait long.

- Manou c’est lui aussi.

J’avais confirmation de ce soupçon que je repoussais depuis quelques jours, Emilien devait s’en douter aussi.

- Il ne t’a pas violée... au moins ?

- Oh que non, j’étais tout à fait consentante, trop heureuse de découvrir un jeu agréable, de devenir l’égale de ma mère, mieux encore car elle couchait avec n’importe qui. Puis le secret espoir de sortir de ma triste situation, j’ai eu de la chance...du moins je le pensais...c’est maintenant que je lui en veux, qu’il me dégoûte.

- Et pour ma  cousine, tu étais au courant depuis longtemps?

- Je n’ai aucune preuve, jamais je ne l’ai surpris il est prudent et rusé, comme il l’était avec moi, mais une femme devine ces choses-là.

- Il fait du chantage en ce qui concerne Sylvette, il fallait qu’elle accepte ou alors c’était l’orphelinat.

- Du chantage, c’est bien cela,  mais qui te dis que dans quelques années ce n’est pas elle qui prendra ma place.

- Tu es folle Marina.

- Oui, je suis en train de le devenir mais là aussi je suis consentante.

- C’est cette peur qui te rendait odieuse à l’égard de Sylvette.

- Une sorte de jalousie, j’avoue...mais tu estimes que je suis odieuse...Frrred, essaye de me comprendre, de comprendre une femme bafouée.

- Tout de même papa ne s’intéresse pas qu’aux jeunes filles, tu n’es pas vraiment délaissée.

- Mon pauvre garçon, tu as vu la jolie blouse de la petite ? Voilà ce qui l’attire, c’est lui qui l’a achetée, tu vois un peu le genre de personnage.

- Et quand maman était encore au monde, elle souffrait comme tu souffres maintenant ?

- Juste retour des choses.

Marina s’était glissée sous mes draps sans se dévêtir, nous restions presque une heure l’un contre l’autre sans parler, sans bouger, nous étions figés dans notre malheur, comme deux enfants perdus dans une forêt profonde peuplée de génies malfaisants. J’aurais voulu mourir dans cette position, ne plus jamais revoir la lumière, ne plus jamais  croiser le regard de Pierre-Louis Delanaud. 

Je sentais Marina fondre dans mes bras, étouffant ses sanglots, je sentais des gouttes chaudes comme de l’acide couler sur mon bras nu. Des années qu’elle a contenu une  rancœur qui  a pris du volume avec le temps.

Elle se détachait doucement, me faisait un gros bisou sur la joue et son ombre s’évanouissait. J’avais compris que jamais plus...pirojki...nous avions dépassé ce stade charnel.



02/06/2011
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