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Un été ordinaire

J’étais persuadé que mon père allait parler de ma visite dans sa mairie, afin que ma tante ait le loisir de se moquer de moi, elle n’a plus si souvent ce plaisir, je fais nettement moins de bêtises que par le passé. Rien, pas la moindre  allusion, monsieur le maire avait décidé de parler uniquement de ses administrés, probablement pour repousser tout autre débat.

- J’ai des demandes farfelues, figurez-vous qu’un brave homme voudrait interdire le passage de tracteurs agricoles devant sa maison, il prétend que des fissures se sont produites sur sa façade et qu’elles s’écartent à chaque fois qu’un attelage frôle son mur, peut-on empêcher le progrès. Une dame  se plaint que le chien du voisin vient faire ses besoins journellement dans ses plates-bandes fleuries, un autre rouspète parce qu’un chat facétieux se promène régulièrement sur le toit de son automobile, laissant des traces de pattes,  c’est incroyable ce que les villageois deviennent intolérants.

- Cela a toujours été ainsi Pierre-Louis, souviens-toi, papa recevait les mêmes doléances absurdes, à part les histoires d’automobiles et de tracteurs,  il s’en plaignait à maman qui riait, tu te souviens Pierre-Louis comme maman riait souvent.

Ces grands-parents que je n’ai point connus avaient de nombreuses qualités, comment se fait-il qu’ils aient raté leurs enfants? Ce doit être la raison de leur départ précipité, la déception. Et moi? Comment vais-je devenir en grandissant, plus suffisant que mon père peut-être, plus radin que ma tante.

Encore un western à la télévision ce soir, seulement Marina n’était plus attiré par ce genre, elle a repris son canevas des mauvais jours, celui qu’elle a déjà démonté ‘au moins’ trois fois, comme Pénélope.

Mon père, plongé dans la lecture d’un quotidien, jetait un œil vers l’écran.

- Quel spectacle instructif! Vraiment cette télévision est une invention qui réduira les cerveaux, anémiera les muscles, regardez-moi ces fringants cavaliers de l’Ouest, ces pionniers des grands espaces,  avec leurs  fausses dents d’un blanc éclatant, leur chemise bien repassée, leurs cheveux gominés,  je parie que si ce film était olfactif, nous serions empesté par leur eau de toilette.

 

La menace qui planait sur notre personnel venait de se concrétiser, deux employés de l’atelier chargé de préparer les pièces pour la fabrication de meubles venaient de donner leurs ‘huit jours’. Cet incident faisait l’objet de discussions véhémentes lors des repas. Plutôt que de garder une semaine de plus des vers dans le fruit, les deux ‘renégats’ avaient été poussés vers la sortie.

- Il valait mieux les payer  huit jours pour rien afin qu’ils débarrassent le plancher au plus vite.

- C’est de ta faute Odette, je t’avais dit qu’il fallait donner un petit coup de pouce aux salaires, au moins.

Mon père accusait sa petite sœur.

- Nous avons suivi les directives de la chambre syndicale, nous n’avons rien à nous reprocher, et puis Ricleux et Gendroux sont loin d’être des ouvriers modèles, la SOFAMA va s’en apercevoir rapidement, il paraît que les patrons sont d’une exigence,  ces deux imbéciles   risquent de se retrouver sur la paille, qu’ils ne reviennent jamais pleurnicher auprès de nous.

Fernand avait un avis bien différent et, au risque de mettre de l’huile sur le feu, je me permettais de répéter ce qu’il m’avait dit.

- Les deux meilleurs de cet atelier, ils avaient l’œil pour trier les pièces, il faudra des mois avant de former des jeunes à ce travail particulier, en tout cas, gare à l’épidémie.

Pour une fois mon avis prévalait.

- Tu n’as pas tort, nous allons augmenter  le salaire horaire, inclure le quart d’heure de casse-croûte dans l’horaire payé et promettre une prime de fin d’année, ainsi, nous allons couper l’herbe sous les pieds de cette boîte sans scrupules.

- J’approuve ton père, concernant la prime, je retiens le verbe promettre, d’ici la fin de l’année il peut se passer bien des choses, quant au quart d’heure de pause, il faudra être attentif, qu’il ne s’éternise pas comme c’est souvent le cas, je vais veiller personnellement à son respect.

Tante Odette n’avait pas tout prévu,  le départ des deux ouvriers venaient d’éveiller les consciences, Fernand m’avertissait.

- Quelques uns parlent de s’affilier à un syndicat, de créer une sorte de comité au sein de l’entreprise, de nommer des délégués qui auront droit à la parole et pourront demander des audiences, ne dis rien à ton père pour le moment et encore moins à ta tante, c’est entre nous, je sais que je peux te faire confiance.

- Pourquoi me prévenir ?

- Par respect pour la société qui m’emploie, pas pour ceux qui la dirigent actuellement, tu comprends.



29/05/2011
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