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Le capitaine de gendarmerie Allard ne passait pas inaperçu,  colosse surmonté d’un képi un peu juste, il relevait sa tête perchée sur un grand cou et se dressait sur ses ergots comme un coq plein chant. Mon père déroulait le tapis rouge de la flagornerie à ce militaire à coup sûr vaniteux,  ce qui avait pour résultat de transformer le coq en dindon paradeur. Dans sa suite, nettement moins fringant qu’habituellement, le chef de brigade courbait l’échine comme un manant devant son seigneur. La délégation uniformisée  s’était d’abord rendue aux abords du silo à sciure et pénétrait dans la salle commune, la porte se refermant délicatement devant mon nez curieux.

J’interceptais Emilien au bûcher, j’ai quelques questions à lui poser.

- Ca sent le roussi, fini les compromissions du pouvoir avec les bourgeois, ou alors il faut être au sommet, ou homme politique. Voilà ce que tu devrais devenir Frédéric, homme politique, député, ministre, ça c’est un bon truc, t’as pas besoin de faire des études importantes, t’apprends des mots savants, tu fais des beaux sourires, tu flattes les vieux, t’embrasse les gosses et les vieilles, tu fais des tas de promesses, tu parles fort et même si tu dis des conneries les gens t’écoutent et font semblant de te comprendre pour ne pas passer pour des cons.

Ce n’était pas pour entendre des diatribes concernant les hommes politiques que je voulais cuisiner le légionnaire.

- Manou ne travaille plus à l’usine.

- Je sais, son père me l’a dit, elle sera bien chez le veto, c’est un brave homme et même si sa femme est un peu chiante comme toutes les bonnes femmes de la planète, la gamine sera bien éduquée.

- Et puis elle sera à l’abri des cochons qui rôdent dans les parages.

- Des cochons...dis Frédéric, j’espère que tu ne dis pas ça pour moi, alors là je te jure, j’aime bien les regarder les fillettes, mais pas touche.

- Et Sylvette tu te contentes de la regarder?

- Sylvette c’est pas pareil, c’est elle qui me provoque, qui m’excite, elle aime bien que je la caresse...mais c’est tout ce que lui fait, je te jure.

Emilien me crache presque sur les pieds, j’ai envie de le croire, son aveu spontané concernant ma cousine est peut être une preuve de sa sincérité.

- Alors qui empoisonne les filles, tu dois le savoir?

-  Sylvette ne veut rien me dire, un vrai mur, tu devrais la questionner, peut-être qu’avec toi.

 - J’ai déjà essayé, rien à faire,  tu penses à quelqu’un de précis?

- Pas vraiment, j’ai questionné Anna, elle n’en sait rien non plus, tu sais elle reçoit beaucoup, au lit les bonshommes sont capables d’avouer leurs conneries.

- Tu es client d’Anna.

- Client, comme tu y vas, de temps en temps, quand ça ma prend mais... je vais te faire un aveu mon gars, j’ai été blessé à la campagne d’Italie, un éclat de grenade dans les machines, heureusement une grenade offensive, sinon j’aurais été réduit en chair à pâté...je n’ai plus beaucoup de réflexe, tu vois ce que je veux dire, alors les femmes, juste pour garder des souvenirs, pour dire que je suis resté un homme, Sylvette connaît mon état, je lui ai raconté, elle a confiance en moi, c’est une brave gamine.

- Je veux connaître le nom de ce sale bonhomme, je veux qu’il soit puni.

- Moi aussi, jamais réussi à le coincer, ce doit être un chacal, comme ceux du bled en Algérie, un animal qui a un pif infaillible, qui te sens arriver.

- Pierrot?

- T’as vraiment les mêmes pensées que moi, lui c’est un vrai renard, quand ta tante arrive il est toujours affairé à limer ou à affûter, à peine la taupe a le dos tourné qu’il glande...et si c’était lui qui a foutu le feu, pour avoir du matériel neuf, qui marche tout seul, qui n’a plus besoin de beaucoup de surveillance?

Je passe voir Sylvette.

- Je t’avais déjà dit de ne pas m’embêter avec ça, bon, c’est pas Pierrot, c’est pas Ronron non plus, je te jure, voilà t ‘es content, maintenant fiche-moi la paix, autrement je ne te parle plus jamais de la vie.