La nymphe vengeresse
J’ai pour habitude de liquider les contentieux le plus rapidement possible, si la lettre vient d’Isabelle Lemarquis comme je le suppose, la première vérification concerne l’imprimante, les bureaux de l’entreprise sont accolés à un petit magasin de meubles, les ateliers sont en retrait, j’entre dans un hall.
- Vous voulez voir madame Lemarquis, elle est chez elle, je vais la prévenir de votre présence.
Un peu revêche la secrétaire, mon incursion semble lui déplaire, elle était au téléphone et sa dernière phrase était édifiante, ce n’est pas un client qu’elle avait au bout du fil, plutôt un bon ami.
Je jette un coup d’œil dans la pièce encombrée, le matériel informatique trône sur un table, l’imprimante est une Canon.
- Elle vous attend, vous êtes garé devant ? vous pouvez descendre le chemin à pied, la maison se trouve derrière les ateliers.
Des ronronnements caractéristiques s’échappent d’un bâtiment en dur, les raboteuses sont en action. Un jeune homme empile du bois sous un hangar, il me regarde passer avec étonnement.
- Vous auriez pu faire le tour avec votre voiture, Lysiane est une gourde, heureusement, le chemin est sec aujourd’hui.
Bien aimable la dame, vêtue d’un pantalon moulant, elle m’entraîne vers un salon.
- Prenez place, je peux vous offrir un café ?
Le salon est vaste, une porte située en face de mon fauteuil est ouverte sur un bureau, en me penchant sur la droite, j’aperçois un ordinateur, madame Lemarquis possède un autre matériel informatique, et certainement une imprimante, et si c’était une H.P ? Impossible de voir le reste et puis lorsque l’hôtesse revient, elle tire la porte.
- Je vous attendais un jour ou l’autre.
- J’aurais dû prendre rendez-vous ?
- Je suis à votre disposition, nous sommes à votre disposition, nous avons tous le même sentiment.
Isabelle s’assied sur un sofa placé en face de moi, j’essaye de deviner ses pensées, si c’est l’auteur de la lettre, elle a du cran, rien dans son attitude ne le laisse deviner. Elle me gratifie d’un joli sourire mais ce doit être naturel chez elle, quant à son regard, il est franc et direct. Cette jolie dame doit avoir un caractère en acier trempé.
- Vous pensez que votre mari a été...
- Assassiné, c’est certain, lors de la découverte du corps j’ai craqué, j’ai dit n’importe quoi, j’ai déclaré qu’il s’était peut-être suicidé, mais pourquoi aurait-il fait un tel acte ? L’affaire marche bien, notre fils termine de brillantes études, nous nous entendions parfaitement. Je suppose que vous avez récolté de drôles de bruits sur ma conduite depuis la disparition d’André, ne dites pas le contraire, les calomnies sont monnaie courante à Mauzieux. Autant mettre les choses au point, Sébastien n’était qu’un employé en qui André faisait confiance et moi aussi.
- Etait, cela voudrait dire qu’il a changé de situation ?
- Changé, oui et sa nouvelle situation n’est pas enviable, je l’ai viré hier, ce godelureau faisait des ponctions dans la caisse, je l’ai pris la main dans le sac.
- Et si votre mari avait découvert ces malversations.
- Je comprends vos allusions, je me refuse à croire que Sébastien soit un assassin, il a l’envergure d’un petit voleur, c’est tout.
- Vous portez plainte ?
- Non... et vous comprendrez pourquoi, la caisse en question était alimentée par des ventes...
- Au noir.
- Voilà, je peux l’avouer, vous n’êtes pas inspecteur du fisc.
Le fossé semble profond entre un vol et un meurtre, mais j’ai en mémoire la réflexion d’un président de cours d’assises qui disait que le gouffre qui sépare ces deux actions est profond mais peu large.
- Quel motif pouvait avoir un assassin ?
- André suscitait bien des jalousies dans la profession, c’était un spécialiste de la marqueterie, un art difficile que les jeunes n’apprennent plus. Il avait été sollicité par des entreprises importantes, seulement il tenait à son indépendance.
- Et vous continuez à mener la barque ?
- Oui, ne serait ce qu’en mémoire de mon mari, j’ai encore d’excellents ébénistes, nous réduirons un peu la fabrication des produits sur mesure pour faire du standard, des articles moins cher, c’est la tendance actuelle.
Alors que sa voix est assurée, que son visage reste impassible, Isabelle croise et décroise ses jambes sans cesse. Je constate aussi qu’elle malaxe souvent ses doigts aux ongles vernis, j’aurais dû inviter le gendarme renifleur, il pouvait peut-être me dire si ce vernis a la même odeur que celui émanant de la lettre.
- Vous avez un matériel de bureau performant, j’ai vu cela en passant.
- C’est indispensable à notre époque, nous pouvons optimiser nos fabrications, les débits sont calculés au plus juste.
- Beaucoup de progrès dans ce domaine et des progrès rapides.
- C’est vrai, trop rapides, nous avions acheté un équipement il y seulement quatre ans, vite dépassé, je l’ai conservé, mon fils s’en sert quand il est à la maison...vous êtes un passionné d’informatique comme le sont certains jeunes hommes ?... venez je vous le montre.
C’est ce que j’espérais sans trop y croire ; rapidement, je reconnais une imprimante H.P., ma première... impression se confirme. Mais pourquoi cette dame qui ne fait rien pour me séduire m’en voudrait à ce point ?
- Vous allez voir Julien ?
- Non pas aujourd’hui j’aimerais revoir les frères Galley, vous pensez qu’ils sont à la maison ?
- L’un des deux obligatoirement, ils n’ont personne au bureau en ce moment, leur secrétaire vient d’avoir un bébé, vous savez où ils habitent ?
- Dans la rue principale je crois.
- Une grosse maison blanche, elle fait le coin, en face de la poste, mais le bureau est sur le côté, il donne dans l’autre rue, vous verrez le panneau.
Je veux prolonger ma poignée de main mais madame Lemarquis n’est pas d’accord, elle retire rapidement la sienne, elle ne doit pas être l’auteur de la lettre anonyme, son comportement envers moi est tout à fait neutre.
Je suis reçu par Jacques Galley.
- Jean est alité, sa crise de sciatique se prolonge, elle s’est déclenchée le jour où il vous a promené dans les bois, il souffre le martyr.
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