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Un été ordinaire

Je restais aussi en faction à proximité de la porte, la conversation entre mon père et le chef de brigade se prolongeait, au grand désespoir de celle que je considérais comme une incendiaire. Ma conviction était établie, c’est ma tante qui avait eu le courage et l’audace de mettre le feu à la sciure...merci ma tante, vous avez allumé un autre feu, sans vous je n’aurais pas connu ce bonheur divin et, malgré les menaces d’un vilain corbeau, je suis persuadé que ce bonheur sera répété. Après tout, une ou plusieurs fois, les cornes que porte désormais mon père sont bien installées. Pour atténuer une image déplaisante, je vais dire qu’il porte des bois, comme le cerf qu’il a exécuté l’hiver dernier et dont la tête est chez le naturaliste. Qu’il ne s’avise surtout pas d’exposer ce trophée imbécile dans la grande salle, sinon je placerai une épitaphe en dessous « Ci-dessus la tête d’un pauvre animal sans défense, lâchement assassiné par un homme sans conscience. »

J'avais quitté la table un certain dimanche, quand  Madeleine avait apporté un plat pourtant odorant, et c'est vrai que j'avais remarqué avec surprise la moue de Marina en découvrant ce mets, je lui avais accordée un bon point. 

 

- Je vous tiens au courant monsieur Delanaud, possible que vous ayez désormais affaire à mon chef hiérarchique, la capitaine Allard, mes hommages mademoiselle Delanaud, au revoir jeune homme.

 

- Alors, peux-tu me dire ce qui se passe dans cette maison, dans notre maison; des conciliabules en aparté, c’est nouveau ce genre de pratique, Pierre-Louis tu sais pertinemment que père nous a légué cette affaire à parts égales, je refuse d’être traitée de la sorte par un militaire de bas étage.

Mon père s’attendait à cet assaut d’amabilité, il devait avoir préparé sa réplique.

- Je t’en prie Odette, l’instant est gravissime, le brigadier à eu la délicatesse de t’éviter un choc, tu sais que ces hommes sont rustres par nature et  qu’ils ignorent les finesses de la dialectique, sa conviction est claire, nous avons été victime d’un acte criminel. Tu vois que nous avions de bonnes raisons de te tenir à l’écart, de telles révélations abruptes pouvaient te causer des désagréments, nous voulions te ménager, tout de même.

D’un mouvement d’une élégance sauvage, tante Odette remettait sa jupe en place, sortait son immense mouchoir et trompetait avant de claquer la porte. Quelques ouvriers allaient subir le contrecoup de cette humiliation, dans quelques minutes je vais suivre ses traces pour récolter les échos de son passage intempestif.

 

Je pensais aux sandales de Marina et cette pensée me donnait une idée, les savates de la taupe grise  sont également dans les parages de la buanderie, un petit reniflement serait peut-être la confirmation de mes supputations.

Des effluves naturels et bien entendu désagréables s’exhalaient de la paire de sandales bleues appartement à la taupe grise, étant accroupi, j’en profitais pour humer celles de Marina, d’un plus joli bleu...l’odeur d’essence? aucun doute, les deux puaient l’essence, une surtout...Coup de folie! Marina est devenue folle depuis qu’elle a bu de la vodka et mangé des pirojki avec moi, ses manières avec Sylvette, son abandon dans sa datcha, le feu, ses souvenirs douloureux, elle voulait effacer la mémoire de grand-père mort prisonnier des flammes...Il faut que je relise Freud, l’un de ses ouvrages est dans la bibliothèque, il doit parler de cette réaction contradictoire, vaincre la peur par l’effroi. Et Gribouille qui se jette dans la rivière pour ne pas être mouillé par la pluie. Et si la Polonaise avait eu besoin des flammes pour se sublimer, pour oublier le raisonnable, pour dépasser les habitudes. Elle ne pouvait prévoir mon incursion dans son antre...possible que si, tout était programmé...alors le « je sais tout » dans la sandale, rien à voir avec moi, le corbeau a vu Marina hanter les alentours du silo à sciure, verser l’essence et y mettre le feu. Elle connaît parfaitement les lieux la demoiselle Derazewski, elle venait traîner  dans le secteur quand elle était gamine, Emilien m’avait raconté qu’avant l’installation des waters  à la scierie, les ouvriers allaient uriner contre le mur du silo à sciure et que les demoiselles de la Fontaine dont la blonde Marina se postaient juste au-dessus  pour assister au spectacle.

 

Marina va m’avouer son acte insensé ce soir, quand le saloon de Lucky Strike va partir en fumée, elle va trouver des excuses, me dire qu’elle avait envie de faire la fête, de voir du monde dans la cour. Seulement, après avoir gratté une allumette et réalisé qu’elle venait de commettre une grosse bêtise, elle est allée se réfugier dans son chalet, ne voulant plus voir la suite du feuilleton dramatique. Son attitude à mon entrée chez elle était probante, je serais un bon détective, ou  un bon chien policier.

Bizarrement, cette découverte me rassurait, je préfère imaginer que la cause de l’incendie découle de  la démence de Marina plutôt que du mercantilisme de tante Odette. Concernant les odeurs d’essence sur le peignoir, rien d’étonnant, les insomnies légendaires de mademoiselle Odette Delanaud ne date pas d’hier, toute petite, il paraît qu’elle était plus au moins somnambule; maintenant, elle se lève nuitamment et va se promener dans l’usine, il lui arrive de passer par le grand garage et de frôler le vieux GMC fonctionnant encore à l’essence.

- C’est un souvenir de la libération, tant qu’il marche nous le conserverons.

Mon père racontait aux visiteurs l’histoire de ce vieux véhicule militaire abandonné dans la cour, pneus crevés, radiateur percé qu’un ancien mécanicien de la société avait remis en état.

- C’était un génie ce Casimir, capable de dépanner aussi bien une machine à coudre qu’un moteur de camion.

Le génial Casimir avait oublié la dangerosité des munitions, c’est en essayant de démonter  un rescapé des bombardements qu’il avait été pulvérisé en même temps que l’obus.



14/05/2011
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