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Les Planchettes à la une

Mon interlocutrice esquisse une sorte de sourire découvrant une bouche largement édentée, impossible de lui donner un âge, cinquante, soixante? plus? ses lunettes à verre épais laissent filtrer des pupilles minuscules, ses cheveux gris filasse tombent raides le long de ses joues creuses, ils doivent ignorer l'odeur et la saveur des shampooings, sa blouse à grosses fleurs est percée aux coudes et les manches luisent de crasse, ses charentaises datent de la dernière guerre je suppose.

- Vous ne seriez pas un monsieur du journal vous?

- Laurent Passy, journaliste à "La Gazette Républicaine".

- Je m'disais aussi en vous voyant arriver, cette tête me dit quelque chose, je suis ‘physiomoniste’ moi, vous êtes venu à Montclair une fois quand il y a eu le gros incendie de forêt, au mois d’ Août 92, c'était juste de l'autre côté de la colline, dans une "sapinéde" , d'ici c'était  impressionnant, le ciel était tout rouge, avec le vent qui soufflait fort, la fumée arrivait jusque dans la vallée,  après que c'était éteint,  vous étiez avec les huiles et les pompiers à la mairie, pour boire un coup, j'donnais un coup de main à servir les boissons vu que j’fais dès fois le ménage pour la commune quand la Lucienne est en congé, il y avait un monde! jamais vu ça chez nous.

Je tentais d’arrêter le moulin à paroles et me préparais à rebrousser chemin.

- Attendez monsieur "Bassy", pendant que je vous tiens, je pourrais vous entretenir d'une chose qui me chiffonne depuis le mois d'octobre dernier... c'est rapport à l'accident de Bébert, vous savez le gars qui est mort enseveli sous un tas de bois, près de la gare,...ça ne vous dit rien? ...mais si, même que votre journal il a "frelaté" les faits, un quart de page, j'ai découpé l'"artique", je l'ai chez moi; faut vous dire que chez nous aux Planchettes tout le monde  y lit votre journal de A à Z, c'est Igor qui  le reçoit tout les matins de bonne heure et il le prête à nous tous, après on lui raconte ce qui est écrit, lui il ne sait lire que le Russe, normal il est venu au monde en  Russie, moi je l'ai le soir, en dernier, comme ça je le garde, ça me sert pour allumer le feu, et pis je peux découper ce qui m'intéresse, surtout les photos, j’en ai plein  de gens connus, depuis que votre première page est en couleurs, j'en mets dans des cadres, vous verriez comme c'est beau.

Quel débit la brave dame, j’ai déjà fait un pas en arrière car en supplément elle postillonne copieusement, je vais battre en retraite.

- Bougez-pas m’sieur Bassy, j'vous disais donc que pour moi le Bébert il n’est pas venu tout seul contre la pile bois pour la faire choir sur lui, vous pensez, il connaissait le chemin comme sa poche, il passait presque chaque soir dans le coin, même quand il avait bu un coup de trop et en pleine nuit, il ne quittait jamais  sa route, il suivait la voie ferrée, les rails qui brillaient lui servaient comme des guides qu’il disait, vous m’enlèverez pas de l’idée que quelqu’un l’a attiré près d’un gros tas de bois avant de le faire tomber sur lui... le pauvre homme, il était englouti sous les  bûches, paraît qu’il avait des ‘esquimoses’ partout sur le corps... et  les gendarmes ont dit qu'il avait de l'alcool dans le sang, c'est des menteries, je l'avais vu une paire d'heures avant, il était bien, depuis ‘quéques’ années, il  lui fallait que deux ou  trois verres pour être saoul, c’est rapport à ce qu’il avait  eu une grave opération de la "testicule bilaire".

J'en ai assez entendu pour aujourd'hui, la pauvre femme débloque, poliment mais impérativement, je prends congé de la bavarde.

- Dommage, je vois bien que vous  me croyez pas, j’suis sûr que la Carmen elle vous dirait comme moi, y a des chances que  vous l'auriez écoutée...pourquoi c’t’imbécile est remontée quand elle vous a vu arriver.

Je retraverse la ligne de chemin de fer, l'adjudant n'est plus là, les secouristes non  plus, seuls deux gendarmes sont restés en faction; plus loin, un fourgon, plusieurs hommes  s'affairent sur la voie ferrée.

- Les gens de la SNCF, ils vérifient si rien ne subsistent sur les rails et entre les traverses, ils viennent quand tout est terminé, le ménage a été fait.

- L'autorail n'avait aucun dommage paraît-il?

- Rien, tout juste une égratignure sur l'avant, il va repartir dans peu de temps, il venait de quitter la gare, n'était pas encore à sa vitesse maximum, fragiles ces voiturettes,  des cercueils ambulants, elles devraient être interdites... alors, vous vous êtes fait accroché par la mère Souris?

- Drôle de nom.



30/03/2012
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