Les yeux de la lune
Il y avait bien une heure que nous étions dans l’eau, le silence avait remplacé le crépitement de feux de broussailles, quelques lambeaux de fumée passaient encore au-dessus de nous.
- On va descendre le cours de la rivière et sortir après le pont du chemin de fer, nous attendrons la nuit pour retourner au village.
- Tout le monde pense que nous sommes réduits en cendres...maman...et Simone.
- Nous leur ferons une bonne surprise...pourvu qu’il ne leur soit rien arrivé...on n’ a pas entendu de coup de feu ni d’explosion, c’est bon signe.
- Ecoute, les cloches, elles sonnent « en mort »...
Nous tendions l’oreille, aucun doute, malgré notre éloignement et la direction défavorable du vent, la sonnerie annonçait un décès dans le village.
- Gaston et René, pris au piège dans l’île, ce glas est peut-être pour nous aussi...
Je me levais, bien décidé à aller rassurer maman.
- Non Christophe, c’est trop risqué, il faut attendre.
Edouard ne m’appelait plus « gamin », j’en ressentais une certaine fierté, j’étais devenu un homme.
Décidément ce jour ne voulait pas finir, les bruits habituels du village nous parvenaient, meuglement d’une vache réclamant son veau, aboiement d’un chien, puis toutes les rumeurs familières étaient couvertes par l’arrivée d’un train.
- Encore des renforts en matériel mais ils ne pourront rien contre la technique américaine.
Un lourd convoi tiré par deux locos passait sur le pont, les wagons plats supportaient des canons et des caisses de munitions, rien n’était bâché, aucun camouflage.
- Ils ne prennent même plus de précaution à présent.
Le silence était revenu, la nuit se décidait enfin à étendre son ombre mais la lune prenait aussitôt le relais du soleil.
- Cette sacrée lune...regarde, ses yeux moqueurs...Edouard ronchonnait.
Je trouvais les yeux de lune plutôt bienveillants, la présence lumineuse de l’astre de la nuit me rassurait, il n’y a pas de guerre là-haut, aucun fou en liberté.
- Ne la fixe pas trop longtemps, c’est mauvais pour la vue...un nuage, enfin, allons-y.
Je frappais de grands coups sur la porte arrière, elle s’ouvrait presque aussitôt.
- Merci mon Dieu, tu es vivant, j’en étais certaine, Edouard ?
Je rassurais maman.
- Nous étions aux cents coups, le corps de Gaston Passant a été retrouvé dans les joncs près de l'ile, il était atrocement brûlé, quand à celui de René Magin il est certainement sur l’île au milieu des braises, nous pensions que vous aussi...merci mon Dieu...à n’y rien comprendre, les Allemands étaient prêts à fusiller une vingtaine d’hommes rassemblés sur la place, puis il paraît qu’un officier a donné l’ordre de libérer tout le monde, annonçant que les deux coupables avaient été punis...ton grand-père était fou, persuadé qu’il s’agissait de vous deux, mais moi j’avais confiance, puis quand Marie Passant a parlé de son mari et de son beau-frère qui eux aussi avaient choisi l’île pour se cacher...
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