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Les yeux de la lune

La silhouette qui descendait de la micheline me semblait familière...mademoiselle Lonny...je fonçais vers la sortie alors qu’elle tendait son ticket au chef de gare.

- Christophe, mon petit Christophe, que je suis heureuse de revoir, tu m’attendais ?...c’est bizarre, je pensais à toi en approchant de Brécourt, mes pensées t’ont attiré vers la gare...quel beau jeune homme tu fais...et ta maman ?

Curieux, je trouvais Isabelle moins laide qu’avant, son nez me semblait plus court, elle était moins sèche.

- Mon appartement ?

Je la rassurais, la femme de ménage qui s’occupait de l’école aérait son logement régulièrement, elle « faisait » même la poussière de temps en temps.

Je prenais la grosse valise de mon institutrice, elle était lourde.

- Venez à la maison avant d’aller chez vous, vous avez faim ?

- Soif surtout, la gorge sèche...comment s’est passée la libération ici ? j’ai suivi la progression des libérateurs, je savais Brécourt libre mais je devais attendre avant de revenir...ma famille de Carpentras, emmenée en Allemagne, qu’est devenue ma sœur et son mari, mon oncle et ma tante, mes cousines...c’est affreux.

- Parce qu’ils étaient juifs ?

- Oui, mais d’autres personnes ont été emmenées aussi, ou fusillées, elles n’étaient pas juives...j’ai eu une chance inouïe, le jour de la rafle, j’étais à la campagne, pour acheter du fromage, j’ai été prévenue du drame, des braves paysans du Luberon m’ont cachée, je sais traire les chèvres, je sais même faire du fromage maintenant...

Les deux femmes n’en finissaient pas de s’étreindre alors qu’aucun mot n’avait été prononcé.

- J’ai du café, je parie que vous ne connaissez même plus son odeur.

Mademoiselle Lonny ouvrait sa valise et sortait une petite boîte en fer, elle soulevait le couvercle  délicatement comme si il s’agissait d’un coffret à bijoux.

- Il y en a juste pour nous trois, mais c’est du vrai de vrai.

Les grains étaient brillants, je les trouvais tellement beaux que j’hésitais à les mettre dans le moulin.

- Allez Christophe, dépêche-toi,  l’eau chaude attend.

Sans dire que je ne trouvais guère de différence avec le jus de l’orge grillée, je ne m’extasiais pas comme maman.

- Nous vous accompagnons chez vous, votre remplaçante...elle est gentille mais croyez-moi, vous êtes attendue.

Isabelle ouvrait grande les fenêtres.

- Je m’ennuyais de ce paysage, je m’ennuyais de vous...et puis ce cauchemar qui me hante depuis...il me fallait changer d’air.

Nous laissions mademoiselle Lonny se réinstaller et partions sur la pointe de pieds.

- Sa famille, tous disparus, morts peut-être, c’est atroce.

- Et toi maman, te fais-tu du souci pour Maurice et pour...Michel ?

- C’est vrai que nous sommes égoïstes, cette libération... du souci pour Maurice, en voilà une drôle d’idée...

Pas si drôle que cela, curieuse la photo qui avait remplacé celle de vagues cousins dans un cadre posé sur la commode, elle avait été prise devant l’église, lors du mariage de Simone et Edouard, Maurice y figure en bonne place, ce jour-là il portait un élégant chapeau,  son costume trois pièces lui donnait un air distingué.

 



30/08/2013
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