Les yeux de la lune
Le village était en effervescence, toute la population était dans les rues, mêmes les malades et les invalides, un téméraire avait planté un drapeau tricolore sur le toit du clocher, d’autres drapeaux étaient sortis de leur cachette. Les gosses brandissaient des fusils de bois, les cafés étaient bondés.
- Ils ont tondu la Jacqueline, ils ont tondu la Jacqueline...
Un gamin débouchait de la ruelle en courant, il venait vers moi.
Je remontais vers la rue Haute, un groupe de personnes hurlait et chantait, j’apercevais, au milieu de ces excités, la pauvre Jacqueline, crâne rasé, tête baissée, son corsage était arraché, l’un de ses jolis seins était découvert. Cette scène m’écoeurait, c’est ça la libération, l’émergence de voleurs de jambons et de brutes lubriques ?
Jacqueline m’avait aperçu, son regard m’obligeait à réagir, je franchissais le cercle sans ménagement, attrapais la pauvre fille par le bras et la mettais hors de portée des excités.
Je n’entendais pas les huées, j’entraînais Jacqueline vers la ruelle craignant une poursuite mais la surprise avait tétanisé la meute. La fille tremblait comme une feuille, je la sentais défaillir dans mes bras.
- Tu sais que cette coupe te va bien...je t’assure, ton visage est mis en valeur...et puis ta belle poitrine...
Je devais avoir l’accent de la sincérité, Jacqueline reprenait des couleurs.
- Merci Christophe, je n’oublierai jamais...des fous furieux, je croyais qu’ils allaient me brûler, comme Jeanne d’Arc.
- Mais non, tu es dépucelée depuis longtemps, je peux en témoigner.
J’avais réussi à faire sourire Jacqueline.
- Tu sais, je n’ai jamais couché avec Hans, c’était un gars gentil et timide, il s’ennuyait de chez lui, il voulait apprendre le Français, je te jure, jamais il ne m’a touchée.
C’est vrai que la boule à zéro donnait un certain charme à Jacqueline, je la trouvais moins paysanne.
- Je ne vais plus oser sortir...les salauds, je leur en voudrai toute ma vie.
- J’ai entendu dire que dimanche il y aurait un bal, tu viendras avec moi.
La maman de Jacqueline venait à notre rencontre, elle était en pleurs.
- Des dégoûtants...merci Christophe...quand Félix va rentrer, il va régler des comptes.
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