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Les yeux de la lune

Je dressais l’oreille et m’asseyais sur le lit, les bruits de moteur n’étaient pas ceux des avions, il s’agissait de véhicules...les Américains, enfin.

Je regardais par la fenêtre, dans le jour naissant, je distinguais plusieurs camions ; ils étaient rangés sur la place, moteurs tournants et j’étais vite édifié, les ordres hurlés ne l’étaient pas en Anglais.

- Des boches, ils se replient, ferme tes volets, ils doivent être furieux d’être obligé de quitter notre terre, ils s’étaient habitués à notre douce France.

Maman venait me rejoindre à l’étage, je lui obéissais.

Les coups frappés à la porte étaient immédiatement suivis d’une entrée intempestive, je dévalais l’escalier, maman me suivait, nous tombions nez à nez avec deux sous-officiers allemands.

- Vous oubliez les règles de la politesse messieurs.

Maman m’étonnait mais ses reproches faisaient « mouche ».

- Vous excusez nous madame, nous avoir besoin d’une chambre.

- Nous n’avons aucune chambre disponible.

- Pas dire ça madame, réquisition, vous avoir chambre là-haut.

- C’est celle de mon fils.

- Lui coucher en bas.

C’était inutile de discuter avec ces deux sbires, il me propulsait vers l’escalier, je les guidais.

- Vous enlever affaires tout de suite, feldwebel Hasler coucher ici.

Le plus jeune désignait son acolyte, un adjudant boudiné dans son uniforme, visage bouffi et fortement coloré, le nez plus rouge que celui d’un clown.

Une heure après, j’avais vidé mon placard, maman avait changé les draps.

- J’ai mis ceux que grand-mère m’avait offerts pour mon mariage, un tissu écru et raide, j’ai bien fait de les conserver, je voulais en faire des serpillières.

Le feldwebel Hasler soufflait comme un phoque en portant sa malle, malgré son regard suppliant, je le laissais hisser son matériel à l’étage, tant pis pour lui si l’armée allemande n’a plus assez de soldats pour faire les corvées.

J’allais prévenir grand-père de cette intrusion, la ferme aussi était investie, deux véhicules encombraient la cour et plusieurs militaires y installaient une tente.

- Ils ne campent plus sur les places ou dans les près, peur de se faire bombarder, au milieu des civils, ils pensent être en sécurité.

Edouard pestait, il exigeait que les intrus reculent leur toile vers le tas de fumier afin de laisser un passage suffisant pour les chariots.

- Au moins vous serez dans votre élément...un peu plus dans la merde.

- Et si l’un deux comprend le Français.

- Je l’ai déjà testés, ils ne comprennent rien, ce sont des nouveaux en France, paraît qu’ils reviennent du front Russe.

- Dans la mede...ils sont dans la mede...

Pierre-Louis s’en mêlait aussi, depuis qu’il parlait, le môme répétait tout ce que disait son père, au grand dam de Simone.

Je faisais le tour du village, partout des soldats, dans chaque cour de ferme des tentes étaient en cours de montage. Je montais chez Mathilde, une voiture était en stationnement devant la maison, elle aussi devait héberger un Allemand.

Effectivement, un gaillard tout en hauteur et à la casquette triomphante sortait du jardinet, je regrettais d’avoir taillé les arbustes, ce grand con aurait été obligé de baisser la tête.

- Cheune homme, abbrochez...

J’étais piégé, j’avais refusé de porter la malle de l’adjudant, j’allais être obligé de porter celle d’un lieutenant.

L’étonnement des dames Richard en me voyant tenir une anse de la caisse.

- Chentil carçon en Vrance, pas comme en Bologne.

Le sourire de l’officier dévoilait deux rangées de dents bien blanches, je ressentais une pointe de jalousie en voyant Mathilde regarder cet étranger avec une certaine admiration. Je ne faisais pas le poids, la prestance du lieutenant, son menton volontaire agrémenté d’une petite fossette, et puis c’est connu les femmes ont un faible pour l’uniforme.

Je retrouvais Mathilde et Nanou sous la véranda.

- On ne m’a pas demandé mon avis, enfin, je pense qu’ils ne vont pas rester longtemps, les Américains approchent.

Nanou faisait des signes que je ne comprenais pas.

- Elle dit qu’on aurait pu tomber plus mal, cet officier n’a rien d’une brute sanguinaire.

- Méfiez-vous tout de même, les bêtes aux abois sont dangereuses.

- Madame Bertrand nous a invités à coucher chez elle tant qu’il sera chez nous, nous avons accepté son offre.

J’avoue que cette nouvelle me rassurait et j’étais encore plus rassuré quand, en me raccompagnant, Mathilde me faisait un baiser furtif dans le cou.



30/07/2013
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