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Le grand verger (suite)

J’avais prévu de faire un tour à Prévocourt, Michel va se demander pourquoi je l’oublie, mais un orage nocturne a détraqué le temps, il pleut des cordes, le voyage est remis. 

Béatrice est libre, nous pouvons fouiller la tour à la recherche du diamant égaré.

Nous commençons à sortir les livres du meuble-bibliothèque, la configuration arrondie de la pièce et par conséquent des étagères  font que certains bouquins se trouvent complètement masqués, calant ceux qui sont devant, évitant qu’ils ne se déplient en éventail,  et c’est la surprise. Derrière les atlas, dictionnaires et autres encyclopédies, nous découvrons une toute autre littérature, aux titres évocateurs teintés d’érotisme; en feuilletant ces ouvrages, nous avons confirmation du contenu.

- Tu peux laisser ces stimulants de côté pour le moment, garde-les précieusement, pour tes vieux jours, quand tes capacités déclineront.

Béa rit, elle est émoustillée, si je tentais quelque chose ?

Je pose ma main sur la sienne, elle se dégage vivement.

- Ce n’est pas le moment... et puis nous cherchons une bague il me semble.

 

Quelques revues très anciennes apportent la preuve que grand-père n’est pas le seul créateur de cette collection insolite.

- Crois-tu grand-père amateur de ce genre de livres?

- C’était un homme, dites-donc mon cher cousin n’est-ce point vous qui lisiez la Tour de Nesle à l’âge de dix ans.

J’avais dévoré ce gros volume en cachette de maman, sans tout comprendre, mais  pendant longtemps j’ai pensé à Marguerite de Bourgogne et à ses sœurs, des femmes voluptueuses et sanguinaires qui recevaient des hommes dans leur tour avant de les faire occire à la sortie, les pauvres bougres se retrouvaient dans la Seine avec les jarrets tranchés. Je me mettais dans la peau du capitaine Buridan, le seul à avoir échappé au traquenard ...faudrait que je relise ce bouquin, il doit être dans l’autre bibliothèque.

 

Les premières recherches ne donnent rien, aucun diamant dans les parages, nous remettons les volumes à leur place ; j’en détourne quelques uns aux titres prometteurs, même si je peux me passer d’aphrodisiaque suivant ma cousine, une lecture érotique est plus excitante que la bible.    

 

Le rituel du jour du seigneur est immuable, il m’est rigoureusement interdit de monter à l’église en moto, en fait c’est surtout la tenue de motard qui serait déplacée, la vue d’un Montcy en blouson noir dans la maison du Seigneur causerait un scandale. Quand grand-père était encore avec nous, maman et moi montions dans sa Panhard, limousine achetée au salon de l’auto en 48, j’avais fait le déplacement à Paris avec lui, j’avais été émerveillé par les automobiles américaines, rutilantes, chromées,  et déçu que grand-père jette son dévolu sur modèle plus discret. Charles, sans demander mon avis s’est approprié la Panhard, maintenant je suis véhiculé par le jeune couple dans la traction avant.

La famille Montcy a un emplacement réservé dans l’église paroissiale, sous la statue de Saint Antoine, prénom d’un ancêtre particulièrement pieux et encore cité en exemple. Aux siècles derniers, quand la chapelle du domaine a été désaffectée, c’est dans le chœur même que les châtelains avaient leurs fauteuils, pour éviter d’être en contact avec les manants, soi-disant porteurs de maladies contagieuses et de parasites. Heureusement que ce brave Antoine Montcy a eu la décence de supprimer ce privilège absurde, être dans le chœur à la vue de tous... Nous restons malgré tout la cible préférée des autres paroissiens, nous sommes épiés en permanence, les chuchotements qui suivent notre entrée doivent commenter les tenues vestimentaires des trois femmes de la tribu. Nous jouissons de la déférence du curé, qui en échange reçoit moult cadeaux en nature et en argent, nous faisons dire de nombreuses messes en mémoire de nos disparus, le décès de grand-père est une bonne affaire pour l’abbé Dancourt.

J’avais été enfant de chœur, plus de trois ans, j’en gardais un excellent souvenir, les autres garçons étaient moins distants avec moi qu’à l’école car nous avions les mêmes soutanes rouges et usées jusqu’à la corde, les mêmes surplis à la dentelle effilochée. Il fallait baisser les yeux vers les chaussures pour constater une différence. Ma mère, trouvant que j’étais minable,  voulait m’acheter un ensemble neuf, j’avais refusé tout net. J’avais goûté le vin de messe, fade et insipide, une piquette en comparaison des Sauternes et autres Meursault qui reposent dans la cave du château. La fonction d’enfant de chœur m’avait fait découvrir quelques dures réalités de la vie, le curé me sollicitait souvent pour que je l’accompagne chez les mourants, sciemment je suppose. Pendant qu’il administrait les derniers sacrements, j’avais le temps de constater dans quel état de dénuement vivaient certains villageois, j’en parlais à maman qui m’écoutait avec détachement, je n’insistais pas mais j’avais mauvaise conscience quand je constatais certains gaspillages au niveau de notre table, nos cochons voyaient souvent arriver dans leur auge des restes royaux qui auraient fait le régal de beaucoup.

 C’est aussi à ce poste  que j’avais remarqué certains manèges de notre brave abbé Dancourt, je m’étonnais de sa compassion extrême pour quelques veuves et particulièrement pour madame Calloux. Cette femme toujours de noir vêtue, les cheveux cachés par d’affreux chapeaux, qui baissait humblement la tête en se présentant à la communion, cette grenouille de bénitier m’était apparue complètement différente un certain soir de mai, dans la sacristie, alors que le curé avait déboutonné sa soutane de bas en haut, la dame pudique était en jupon blanc. C’est en revenant chercher un missel oublié que j’avais découvert cette scène  surprenante et je m’étais bien gardé d’en faire part à qui que ce soit. L’abbé coquin avait apprécié ma discrétion, madame Calloux aussi je suppose et les sourires mielleux qu’elle m’adressait à chaque rencontre devaient être des remerciements. J’avais aussi compris que la robe austère ne fait pas la nonne. Qui remplace cette paroissienne dévouée...surtout à monsieur le curé... depuis qu’elle a été emportée par une mauvaise grippe? Quelle avait peut-être contractée dans l’humidité et la fraîcheur de la sacristie.

 



07/12/2010
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