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Les yeux de la lune

Je me dressais sur mon lit et tendais l’oreille. Pas de doute, des bruits de voix me parvenaient du bas. Je me levais et descendais l’escalier. Maman m’avait entendu, elle ouvrait la porte avant moi.

- Viens voir qui nous rend visite.

Si je m’attendais.

- Tu vois, j’avais envie d’une omelette au jambon, une vraie.

Michel Desforges était rasé de frais, ses cheveux étaient coupés court, il avait  plus belle allure que lors de son premier passage, alors qu’il sortait du stalag.

- Il vient d’être parachuté à quelques kilomètres d’ici, il va organiser un noyau de résistants dans la forêt.

- Ne dévoilez pas nos secrets madame Martin, les jeunes hommes sont bavards parfois.

J’avais un mouvement d’humeur, par bravade, je répliquais.

- Je veux être le premier engagé dans votre troupe de résistants.

- Nous sommes déjà une bonne vingtaine, des réfractaires au STO, des évadés mais nous accueillons tous les braves.

Ma mère était rouge de colère.

- Si vous êtes venu pour débaucher mon fils, vous pouvez prendre la porte  immédiatement.

Elle n’était pas sincère, son regard posé sur le visage du maquisard contredisait ses paroles…voilà un homme qui me conviendrait comme beau-père…et je crois qu’il conviendrait comme mari à ma mère.

- Votre poste marche bien.

Aucune émission de la BBC à une heure aussi tardive, Michel Desforges tournait le bouton et une rengaine bien connue résonnait. Maman fredonnait les paroles, « j’attendrais, le jour et la nuit, j’attendrais toujours, ton retour... » son attitude était peu ordinaire, assise sur son petit fauteuil, elle penchait la tête en arrière et fermait à demi les yeux mais son regard était fixé sur le visage du maquisard...

- Bonsoir, je retourne me coucher.

- Ah les jeunes...c’est vrai qu’ils ont besoin de sommeil, alors à un de ces jours, au parc de ton grand-père...mais je reviendrai de temps en temps.

J’étais de trop dans le salon, maman me murmurait un petit bonsoir et esquissait une sorte de sourire béat.

Je collais vainement mon oreille au plancher, je n’entendais plus rien, je fonçais au grenier et entrouvrais le petit volet de bois donnant vers l’arrière, de cet observatoire je devrais voir sortir Michel Desforges mais rien ne bougeait...

………….

 

C’était bien la première fois que je devais préparer mon petit déjeuner, je terminais ma dernière tartine de confiture quand maman apparaissait en robe de chambre et venait m’embrasser sur le front. Elle ne disait rien, restait debout et me tournait le dos en buvant son café. J’aurais voulu lui dire que j’avais tout compris, que je cautionnais son attitude.

- Je vais voir Simone et Pierre-Louis.

- Tu me rapportes du beurre s’il te plaît.

- Mais j’en ai apporté hier ?

- Je l’ai donné à Mi...monsieur Desforges, il a tellement été privé de bonne choses...

Je souriais intérieurement, en prononçant cette phrase, maman avait rougi comme une petite fille.

- Tu lui diras  que...et puis zut, nous n’avons pas d’explication à lui donner, et motus pour hier soir, je compte sur ta discrétion.

 



06/05/2013
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