La mémoire oubliée
Je sors de Champbourg alors que les premières gouttes de pluie barbouillent mon pare-brise, l’orage menaçait, l’horizon est zébré d’éclairs. Je reste prudent sur cette longue ligne droite de la route départementale, le verglas d’été est dangereux, d’autant plus que la chaussée est bosselée. Depuis mon arrivée dans la région, on a dénombré une vingtaine d’accidents sur cette route, dont plusieurs mortels. Les poiriers qui forment presque une haie d’un côté portent des marques de tragiques rencontres.
Je réfléchis à la demande du maire de Champbourg, faire un retour sur le passé n’est pas pour me déplaire, seulement si sa vie est réellement en jeu…
Je connais mal Roger Pierret, par contre j’ai eu l’occasion de rencontrer son épouse, nous avons le même dentiste et nous avions sympathisé en poireautant dans la salle d’attente. C’est une citadine, elle ne s’occupe pas de la ferme mais elle sert de public-relations à son mari dans ses fonctions politiques. C’est elle qui l’avait incité à se présenter aux élections cantonales face à l’indéboulonnable notaire et maire de Montlieu, maître Margon. Le résultat avait été serré, madame Pierret était déçue mais elle espérait que la fois prochaine, il serait inversé. Le couple a deux fils, Guy qui travaille à la ferme, marié, deux enfants, et Alain étudiant en architecture à Paris. Alain est un passionné de moto, quand il est en vacances, il sillonne le département sur sa puissante machine à vitesse excessive ce qui lui a déjà valu quelques ennuis avec la maréchaussée.
Avant de rentrer chez moi, je fais un crochet par le camping des Saules, la semaine dernière, deux campeurs Hollandais ont été interpellés, ils détenaient de la drogue et fournissaient quelques accros du secteur. Paul Baldo, gérant de ce camping est un ami.
-Merci pour ton papier Laurent, cette vilaine histoire pouvait nous porter préjudice.
J’avais écrit que la direction et le personnel du camping étaient particulièrement attentifs à toutes dérives, que ce soit au niveau de l’alcool ou de la drogue.
-Nous ne sommes pas des gendarmes mais nous veillons à la tranquillité de la majorité de nos clients.
Ma visite est aussi motivée par le fait que le père de Paul était résistant, une rencontre avec ce brave homme pourrait peut-être m’apporter quelques renseignements utiles.
-Tu tombes mal, pas question de parler de cette époque avec lui, comme beaucoup d’Italiens d’origine opposés au fascisme, il avait rejoint un groupe de résistants communistes, le groupe Oural, tu en as entendu parler je suppose.
-Oui, mais je crois qu’il a été sérieusement étrillé, des militants fusillés et d’autres déportés, peu sont revenus.
-Exact et mon père avait des scrupules à être encore vivant à libération, c’est dingue mais c’est ainsi, et puis il a continué à militer chez les rouges, mais quand il a appris ce qui se passait derrière le rideau de fer, il a déchiré sa carte du parti, viré le portrait de Lénine qui trônait dans son bureau, tu vois, lui parler de la résistance le met dans un triste état.
Je n’insiste pas, je comprends.
-Si tu veux des tuyaux sur la résistance, va voir le curé de Préval, c’est une mémoire vivante, tu peux dire que tu viens de ma part, et puis va donc faire un tour du côté d’Oberville, il s’est passé pas mal d’événements dans ce bled pendant la guerre.
Je fais part de la demande de Roger Pierret à monsieur Magnien, mon directeur.
-C’est un sujet délicat, quelques traces sont encore dans les mémoires, je ne crois pas trop à une vengeance tardive, à mon avis, ce corbeau est un mécontent qui veut empoisonner le maire de Champbourg et qui utilise de tels arguments sachant qu’ils peuvent faire peur, vois ce que tu peux sortir comme papier intéressant en déterrant ces vieilles histoires, je te fais confiance.
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