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- Les fruits sont gros cette année mais rares, on ne peut tout avoir, et n’en mange pas trop que je puisse faire au moins une tarte... que veux-tu il faut continuer à vivre.

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Rien que l’évocation d’une tarte aux mirabelles me fait saliver, c’est un dessert incomparable, un peu tiède, les fruits dorés que les autres régions de France nous envient délivrent leur jus sucré à la cuisson...grand-père adorait aussi, dès la sortie du four, j’allais lui apporter une tartelette qu’il avalait en deux bouchées sans respirer...

Alice me confie.

- J’ai parlé au brigadier, je lui ai fait comprendre que tu n’avais aucune raison d’avoir une altercation avec ton grand-père, que vous vous entendiez parfaitement et que c’est moi qui t’avais confié une mission matinale… Autre chose et c’est tant mieux, Albert réintègre sa cabane cet après-midi même, il pourra traire ses biquettes demain, il  s’est vite remis le gaillard, je suppose qu’il commençait à faire le cirque à l’hôpital.

Mes prévisions tombent à l’eau, il va me falloir trouver une autre maîtresse que Nénette.

Cette journée parait interminable,  si ce n’était une sensation bizarre à un certain endroit de mon anatomie, je pourrais supposer qu’il ne s’est rien passé d’autre que le drame qui vient de s’abattre sur la côte Manon et qui s’est répercuté dans tout Labréville. De nombreuses allées et venues, le curé, qui est resté longtemps, l’instituteur, plusieurs conseillers municipaux sont venus aux nouvelles, le médecin légiste qui avait examiné le corps de grand-père,  n’a fait aucune déclaration en quittant le château malgré la demande de Charles.

Le soir un moment pénible m’attend, maman me prend par le bras et m’entraîne dans la chambre mortuaire.

- Embrasse ton grand-père une dernière fois, demain il sera mis en bière.

Je traverse la grande pièce comme un automate, la lumière pâlotte et vacillante des cierges, l’odeur de la cire brûlée contribuent à accroître mon angoisse. Je me penche, retiens mon souffle, ferme les yeux et effleure du bout des lèvres le front glacé. J’espère que l’abbé Dancourt dit vrai quand il proclame qu’au moment de la mort, l’âme quitte une enveloppe charnelle devenue inutile, l’âme de grand-père a retrouvé celle de grand-mère.

Je dois rester encore quelques minutes immobile, je suis sensé prier mais je ne parviens pas à réciter mentalement le Notre Père et le Je vous salue Marie, l’émotion m’étreint. Charles est assis près du lit, il me fixe de ses gros yeux légèrement embués, les ombres provoquées par les cierges dansent sur son visage et le rendent méconnaissable, je crois voir Frankenstein.

Ouf, j’ai enfin la permission de quitter cet endroit atroce, l’oncle m’accompagne, maman vient de prendre sa place. Je croise Béatrice dans le couloir, elle  est en larmes, je suppose qu’elle vient d’éplucher des oignons, son cœur sec est incapable de diffuser tant de peine apparente.

Charles met la main sur mon épaule.

- Olivier, j’ai deux mots à te dire.

Nous entrons dans le salon de grand-père.

- Juste une petite mise au point mon garçon, tu sais que, depuis la disparition de ton père, je suis ton tuteur légal. Jusqu’à présent  et tant que papa était de ce monde, je n’ai que rarement décidé pour toi, cette fois c’est différent, je suis responsable de tes actes et je ne te laisserai pas faire n’importe quoi. Tout d’abord cette maudite motocyclette est séquestrée jusqu’à nouvel ordre, tu es un véritable danger public, l’abbé a signalé ce fait en chaire, tu te souviens, j’avais honte pour toi, pour notre famille, de mon côté, j’ai effectivement recueilli de nombreuses remarques désobligeantes de la part de mes administrés,  en tant que maire de ce village, je dois faire respecter la loi et les règles, quand tu seras raisonnable, j’aviserais.

Je n’ai aucune envie de me défendre, ce serait malséant aujourd’hui.

- Concernant l’accident de papa, je viens d’avoir un coup de téléphone de la gendarmerie, le rapport du légiste est formel, l’accident a eu lieu vers neuf heures  et il est mort sur le coup... une chance pour toi...