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Monsieur Mazuaud affirmait qu’il avait dû batailler ferme pour éviter que le nouveau chef de culture réquisitionne notre appartement, pourtant d’après les dires, ce monsieur avait exigé une grande maison et il avait obtenu satisfaction, prenant possession de La Sapinière, l’un des plus belles propriétés de Brécourt. Cette maison était inoccupée depuis que la propriétaire avait été placée dans un asile, l’un de ses fils avait été tué au début de la guerre, la pauvre dame n’avait pas supporté. Son autre fils n’était jamais revenu au village, certains prétendaient qu’il était prisonnier, d’autres qu’il était mort.

La décision de l’officier, car cette fois c’était bien un militaire, mettait fin à nos soucis, ainsi, comme prévu, je montais mes meubles et mes petites affaires en haut. Edouard me donnait un coup de main et des conseils.

- Tu seras vachement bien ici, tu pourras même recevoir des poulettes sans déranger ta mère, avec une entrée pour toi tout seul.

Depuis l’arrivée du « grand boche » comme tout le village l’appelait, le climat avait changé, les gardiens qui sous le commandement de Kurt étaient devenus presque des villageois avaient été mutés et remplacés par de jeunes soldats arrogants et brutaux envers les ouvriers de la ferme, y compris les femmes. Au lieu de se déplacer en tilbury, l’officier conduisait un véhicule automobile affreux, bruyant et puant. Ce personnage abject avait failli me renverser alors que je traversais les voies de chemin de fer sur le passage à niveau, faisant un écart que je suppose volontaire car plus loin il se retournait et me narguait en riant aux éclats. Pierrot avait lui aussi  été victime de cette plaisanterie douteuse.

- Je vais le zigouiller ce fumier, quand il va au Montcy, il laisse sa voiture devant la croix, je me planque dans  la sapinière et je lui plante les trois pointes de ma fourche dans la panse, il crèvera à petit feu.

- Et d’autres viendront et rayeront Brécourt de la carte.