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Kurt reprenait ses visites dans les champs et j’acceptais enfin de monter dans sa carriole mais c’était un peu pour retrouver grand-père,  j’imaginais  Bayard  dans les brancards.

- Vous avez bonnes terres en France, beau pays, très beau pays, si nous amis avec vous, Europe bien, nous industries, fabriques, génération de toi, quand guerre terminée.

- Quand vous serez vaincus.

- Hitler comme Napoléon, Russie trop grande, trop froide, beaucoup de soldats morts.

Mis à part le fait qu’il osait comparer ce fou d’Hitler à notre Napoléon,  je sentais bien que Kurt ne croyait plus à la victoire définitive de son pays.

Plusieurs fois, quand maman faisait le ménage au premier étage, j’étais monté et j’avais pu admirer les riches collections de livres de l’Allemand dont celle de Jules Verne au grand complet et en Français. Continuant ma politique de rapprochement, j'avais sollicité le chef de culture et c’est avec enthousiasme qu’il me prêtait un premier ouvrage.

- Pourquoi renifles-tu comme un cochon du Périgord cherchant des truffes ?

L’odeur régnant dans le salon de mademoiselle Lonny me rappelait celle qui se respirait dans celui de Kurt, une odeur que mon nez délicat attribuait à un mélange de cuir et de cigare. Les sorties nocturnes de notre locataire passeraient-elles par l’appartement de l’institutrice ? Pour avoir confirmation, je guettais la sortie de l’Allemand et le suivais. J’étais rapidement fixé, Kurt rendait effectivement visite à Isabelle. Je m’empressais de rapporter ce fait à maman, sa réaction me surprenait.

- Je suis au courant, elle lui donne des cours de Français, tu as remarqué, il fait des progrès.

C’est vrai, j’avais remarqué, ses phrases étaient un peu mieux construites, mais  l’élève avait encore besoin de nombreuses leçons.                   

L’année 1942 s’était achevée comme la précédente, Noël avait été dignement fêté  mais cette fois c’est mademoiselle Lonny qui nous avait invités, surprise en rentrant de la messe de minuit, l’hôtesse débouchait une bouteille de Champagne.

- Vous devinez qui me l’a apportée, les vignerons continuent à faire du vin dans la Marne, ils ont de bons clients, quand la guerre sera terminée et que les forces du mal seront vaincues, les survivants Allemands reviendront nous envahir mais cette fois pour boire nos vins et manger nos fromages.

- Bon, vin très bon en France.

Kurt aspirait le contenu de sa coupe d’une seule goulée et se pourléchait les babines, son attitude me déplaisait un cran de plus quand il recommençait la même opération avec encore plus de délectation. J’avais trempé les lèvres dans le breuvage pétillant et je ne comprenais pas pourquoi sa consommation pouvait procurer autant de plaisir.

C’est une heure plus tard que l’Allemand changeait complètement d’attitude, de grosses larmes coulaient sur ses joues : nous mettions cette émotion sur le compte des bulles de Champagne mais il nous faisait un aveu.

- Dernier Noël à Brécourt, fini, retour chez moi, dans un mois je partir, un autre chef venir.

Cette nouvelle nous avait sidérés, même grand-père avait l’air triste.

- Mais pourtant vous faites très bien votre travail.

- Moi trop gentil avec prisonniers, rapport mauvais pour moi.

- Alors votre remplaçant sera une peau de vache.

La moustache de grand-père frétillait comme jamais.

- Peau de vache ! dur comme cuir, oui dur comme cuir.

Kurt  poussait un grand soupir.

- Pas question qu’un autre que vous habite à l’étage.

- Attention, réquisition madame Martin, attention.