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Les yeux de la lune

Le deuxième jour d’exode avait ressemblé au premier, toujours le soleil et la chaleur au rendez-vous, toujours les plaintes et les lamentations de la vieille grand-mère. Pour la nuit, nous avions décidé de faire escale à Domrémy.

- Nous allons nous mettre sous la protection de Jeanne d’Arc, annonçait mon aïeul.

- Vous avez retrouvé la foi mon gendre, la peur du jugement dernier, persifflait l’aïeule.

C’est au pied de la basilique que nous campions, d’autres réfugiés avaient également choisi cet emplacement agréable et apaisant. Un local nous avait été désigné, il s’agissait d’une réserve de statues, et c’est sous le regard bienveillant de saint Christophe, mon patron et celui des voyageurs, que je m’endormais.

 

Je courais à perdre haleine, alors que je cueillais des boutons d’or dans le pré voisin, de violentes explosions avaient troublé le calme des lieux, une épaisse fumée montait à l’horizon.

- Les boches ont bombardé Neufchâteau, le mieux est de faire demi tour, de rentrer chez nous.

Grand-père avait été aux nouvelles.

Maman n’était pas d’accord, ses arguments étaient repris par les deux autres femmes si bien que la mort dans l’âme, le « maître d’équipage » décidait de poursuivre vers le sud.

- Dépêchez-vous de passer, ce pont va sauter.

Des militaires français posaient des mines sous les arches d’un pont enjambant la Meuse, je poussais les chevaux afin que nous nous éloignions rapidement de cet endroit dangereux.

La rue principale de Neufchâteau était encombrée par des véhicules de toutes sortes, notre progression était sérieusement ralentie.

Au centre de la ville, des ruines fumantes étaient arrosées par les pompiers, curieux, je m’approchais des badauds.

- Paraît que cinq personnes sont enfouies sous les décombres, dont trois gosses.

Cette déclaration me donnait froid dans le dos, je voulais quitter cette ville et son odeur de mort, grand-père était du même avis et prenait une décision importante, profitant d’une petite rue à droite, il bifurquait.

- Où nous emmènes-tu ?

- Je vous ramène à Ligneulles, la pagaille, ça suffit.

Nous retrouvions un équipage de Machéville qui avait également fait demi tour, grand-père connaissait bien ces gens.

- Faut prendre des petites routes, les boches arrivent et il faut se méfier des espions de la cinquième colonne, conseillait un vieil homme.

J’avais déjà entendu parler de cette fameuse cinquième colonne, grand-père avait été incapable de me donner des précisions.

- Des bêtises, dans une telle panique, les gens gobent toutes les rumeurs.

Nous croisions quelques véhicules militaires.

- Regardez-moi ces froussards.

Une voiture stoppait à notre hauteur, un officier barbu hurlait comme un diable.

- Serrez-vous et arrêtez-vous, un convoi arrive, nous allons nous replier sur la rive gauche de la Meuse, cette fois l’ennemi va être bloqué.

Nous regardions passer toutes sortes d’engins pétaradants chargés de soldats apparemment fatigués.

- Un repli ? c’est plutôt la débandade.

Grand-père avait décidé de ne pas s’arrêter la deuxième nuit du retour, nous n’étions plus qu’à vingt cinq  kilomètres  de Lavoncourt, un panneau indicateur nous l’avait signalé.

- Sept heures de route, au petit jour nous serons chez nous.

 Les Poutreux, de Machéville étaient d’accord, seulement, comme nous, ils n’avaient plus de victuailles, nous avions été dévalisés.

- Plus rien, les saucisses, les jambons, les bocaux de pâté, envolés, un coup des troufions, ah ! elle est belle l’armée Française, faut pas s’étonner que nous soyons envahis par les Teutons.

Nous passions devant une gare en flammes, je me cachais sous la bâche pour ne pas voir ce spectacle, la mort et le feu étaient mes deux cauchemars.

Monsieur Poutreux avait trouvé des boules de pain dans des wagons déraillés, il fallait enlever une première couche de moisissure pour trouver une mie dure et aigre, mais, quand on a faim...

C’est en vue de Lavoncourt que nous rencontrions les premiers soldats Allemands, ils occupaient un véhicule automobile garé au bord du fossé.

A notre approche, un officier coiffé d’une casquette à visière et chaussé de grandes bottes noires descendait, il se plaçait en plein milieu de la route, barrant le passage.

- Halte, vous n’avez pas le droit de passer  dans ce village, où allez-vous ?

En réponse à nos explications, l’officier sortait une carte et nous indiquait la direction que nous devions prendre.

-Ce chemin, en bordure de forêt, vous traversez le ruisseau à gué et remontez sur la route, c’est compris.

Grand-mère s’étonnait.

- Cet Allemand parle un Français tout à fait correct.

- Encore un qui a fait des études dans l’une de nos universités, répondait grand-père.



09/02/2013
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