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Les yeux de la lune

Avant d’arriver à Ligneulles, je connaissais toutes les nouvelles.

- Tu ne verras plus le père Saunier, il a passé l’arme à gauche, la veille de Noël...et la belle Yvette, elle s’est mariée avec un gars de la ville, c’est ce qu’elle souhaitait, quitter son village de bouseux, faire la coquette, seulement son avorton de mari sera incapable de  la satisfaire, de jour comme de nuit.

J’avais compris l’allusion, grand-père était ainsi, spontané et un rien grivois, combien de fois grand-mère lui reprochait ses phrases suggestives.

- Tais-toi donc, le gamin écoute.

Grand-père avait eu un double métier, à la fois cultivateur et menuisier, de son premier, il avait gardé ses deux chevaux.

- Je veux que mes compagnons meurent de leur belle mort, chez moi, près de moi.

Il avait aussi conservé intact son atelier de menuiserie et, les jours de pluie ou de forte chaleur, nous passions des heures au milieu des copeaux et des planches. Pendant que mon aïeul confectionnait des petits objets en bois qu’il offrait autour de lui, je tentais de planter des pointes dans des madriers, me tapant bien souvent sur les doigts.

- C’est le métier qui rentre.

 

Drôle d’école, nous étions vingt cinq garçons dans une seule classe  mais tous les cours étaient représentés. Le maître, coiffé d’un béret qu’il gardait en permanence, portant des petites lunettes sur le bout du nez,  passait de l’apprentissage de la lecture à la préparation du certificat. L’avantage, c’est que je connaissais tous les enfants et qu’ils me tenaient en estime, grand-père n’était pas étranger à cette déférence. A la récréation, la cour unique était partagée avec les filles et je devenais  quelqu’un d’important, surtout lorsque je racontais l’attaque des avions allemands.

- Ici, pas de danger d’être bombardé, d’en haut on doit être invisibles, not’village est tellement petit,  mais les bombes ça doit être terrible, raconte-nous Christophe.

Je mentais honteusement, parlant d’une nuée vrombissante d’avions énormes, d’un déluge de feu, de tranchées bouleversées, de blessés, d’ambulances, mon auditoire était captivé, particulièrement les filles.



01/02/2013
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