Les Planchettes à la une
Je remonte une rue bordée de tilleuls touffus, en retrait, derrière des clôtures et des haies, je devine des maisons bourgeoises dont beaucoup sont à vendre, quelques panneaux d'agences immobilières placées sur les grilles commencent à défraîchir, peu d'acheteurs pour ce genre de propriétés où tout est à refaire.
Le parking du restaurant du Puits est pratiquement vide, la grande salle à manger lui ressemble, pourtant, j'attends plusieurs minutes avant que l'on me propose une table dans un coin relativement sombre...table que je refuse poliment, j'ai aperçu, à travers la baie vitrée, un panorama en harmonie avec ma nature : une vue magnifique sur le flanc de la colline.
- Je peux m'installer au fond?
- Si vous voulez.
La patronne car je suppose que c'est elle est un peu rébarbative, probablement mécontente de la rareté des clients, j'en compte six, chacun à une table et assez éparpillés, la petite dame va devoir trotter dans l'immense salle.
L'adjudant avait raison, la cuisine est excellente et les prix affichés sur le menu sont raisonnables; mon amabilité, mon sourire lors de ses passages à ma table, l'aubergiste est plus accorte qu'à l'accueil.
Alors qu'elle vient de m'apporter le café, je me hasarde à entamer une conversation, je vais essayer de récolter quelques renseignements concernant Robert Morel, d'autant plus que l'établissement est également le bureau du PMU.
- Vous avez une belle vue d'ici.
- C'est vrai que c'est agréable, cette masse boisée, mais nous sommes habitués, et cette bosse nous prive du soleil couchant...
- Ce site naturel devrait attirer des touristes ?
- Devrait, comme vous dites, mais à la mairie, le tourisme...le chemin d'accès au plateau est impraticable en voiture, le maire dit qu'il faut monter à pieds pour apprécier la beauté du site...vous croyez que les promeneurs du dimanche ont envie de marcher ?...vous n'étiez pas chez nous quand la forêt a brûlé ?
Décidément les gens du cru ont une bonne mémoire visuelle, la mère souris malgré ses lunettes poussiéreuses, cette dame...
Je dévoile mon identité.
- Monsieur le maire vous avait présenté à la population, je me souvenais de votre nom, vous signez vos articles...Casimir, le malheureux, écrasé dans sa voiture...c'est vraiment la malchance.
- Il était client chez vous ?
- Les dimanches pour son tiercé, parfois en semaine mais rarement.
- Vous aviez déjà perdu un client quelques mois avant ?
- Bébert ? oui, c'est vrai, mort d'une façon tragique lui aussi...excusez-moi...je dois servir, peu de clients mais il faut tout de même assumer.
Je traînais un peu, le calme du lieu, et puis je voulais poser encore quelques questions à l'aubergiste.
C'est en réglant l'addition au comptoir que je tentais de reprendre le cours de la conversation.
- Qu'avez pensé de la mort de Robert Morel ?
- Je vous vois venir, vous êtes comme le nouveau chef de brigade, il m'avait posé quelques questions, savoir si Bébert avait gagné un gros tiercé.
- Et alors?
- Alors rien, il jouait les favoris, bien souvent il suivait les pronostics de votre journal, c'est vous dire, ses gains étaient minimes, en deux jours c'était raclé, il payait des tournées à ses acolytes.
- A part lui, vous avez de gros gagnants?
- Gros?.. rarement, disons une fois par an un beau tiercé, si, un quinté assez substantiel l'an dernier, en octobre.
- Juste avant la mort de Morel.
- Dans ce moment-là je crois, qu'allez-vous imaginer, ce n'était sûrement pas lui l'heureux gagnant.
- Un client habituel?
- Vous êtes pire que le chef, ce monsieur a voulu garder l'anonymat mais nous avons pratiquement la certitude qu'il s'agissait d'un client de passage, ou d'un parieur venant d'un village voisin, nous en avons beaucoup, nous sommes le seul bureau encore ouvert dans un rayon de dix kilomètres.
- Quelle somme avait été gagnée?
- Quatre vingt treize millions et des poussières... anciens, neuf cent trente mille, pour un quinté dans l'ordre c'est correct.
- Casimir Bielinski était donc également amateur de courses hippiques?
- Quasimodo?...oh! excusez... comme je vous disais tout à l'heure, un petit joueur, seulement il passait une bonne heure à préparer ses bordereaux, empruntait les journaux aux autres parieurs, discutait, il touchait assez souvent mais des misères, encore moins de chance que ce soit lui le fameux gagnant du quinté.
- J'ai entendu dire que Morel avait des projets importants concernant la sépulture de sa mère.
- Cette histoire de monument en marbre ? chaque année à l'anniversaire de la mort de madame Morel, il ressortait la même rengaine, nous étions habitués.
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