Les Planchettes à la une
Le café de la gare s'intègre parfaitement dans le décor du quartier, façade décrépie, escalier aux marches usées et fissurées, rambarde métallique rongée par la rouille, il faut avoir de la force pour pousser la porte d'entrée.
L'intérieur du troquet est conforme à l'extérieur, dallage encrassé, tables en marbre fendillées, chaises avachies, comptoir martyrisé; par contre, le patron présente assez bien, la soixantaine, cheveux blancs et drus ondulés, fine moustache, dents blanches, chemisette exotique.
Il bavardait avec l'unique client, mon entrée est un événement; l'ancien légionnaire car je ne doute pas un instant qu'il s'agit de lui, me salue poliment.
- Monsieur bonjour, vous cherchez quelqu'un?
- Vous peut-être, je quitte le chef de brigade et il m'a dit que je pourrais rencontrer monsieur Alfred ici.
- Il vous a dit ...monsieur... vous m'étonnez, quoique le nouvel adjudant soit plus correct que son prédécesseur, ces militaires n'ont que peu de respect pour moi et pourtant, j'étais première classe dans la légion étrangère, vous savez ce que cette distinction représente hein?
Visage buriné, creusé, cheveux gris en broussaille, difficile de donner un âge à cet homme, entre cinquante cinq et soixante cinq, sa veste type saharienne est un peu trop large pour sa faible corpulence.
Je voulais me présenter, c'est inutile, c'est l'homme qui était en compagnie de la mère souris et de Carmen près des lieux de l'accident.
- Je vous ai venu venir avec votre air innocent, je me méfie des journalistes...et puis, parler devant les femmes...ce n'est pas que je les déteste mais je suis méfiant, elles ont vite fait de broder et d'en rajouter.
- Vous êtes d'un naturel méfiant je vois.
- Un pauvre mec comme Casimir vous intéresse à ce point?
- Chaque individu a droit à un certain respect.
- Ne me faites pas rigoler, un certain respect ? je vais vous dire moi ce qui est respectable dans ce monde de merde, l'argent, oui monsieur l'argent, la pire des fripouilles est reçu comme un roi et tout le monde même les gens bien lui font des courbettes si il a du pognon... que voulez-vous savoir? où se rendait Casimir? vous le savez déjà, c'est un secret de Polichinelle...
- Mais tu as vu l'accident, Alfred, raconte à monsieur ce que tu m'as dit.
Le tenancier se mêle de la conversation.
- Vu, pas de tout près mais c'est vrai que j'ai été intrigué, je venais chez toi et j'ai vu le véhicule de Casimir descendre le raidillon... oui, puis il est resté comme bloqué sur les rails, comme si il attendait l'autorail... un suicide, c'est possible, il connaissait parfaitement les horaires.
- Deuxième mort tragique dans un périmètre restreint, un résident et un habitué des Planchettes.
- Jamais deux sans trois, le prochain ce sera mezig... si vous m'annoncez que demain je claque, je m'en moque, je suis sursitaire...en Indo, chaque jour je me disais, cette fois mon vieil Alfred, tu passes à la casserole... nous montions la garde au sommet d'une petite bosse, les viets grimpaient comme des singes dans les tecks des alentours et nous allumaient quand ils le voulaient...quatre potes dégommés en quinze jours...ils m'ont épargné... allez savoir pourquoi, peut-être que c'est grâce à ma petite taille, je leur ressemblais...t'as de la chance Louis tu aurais perdu un bon client...
- Et Bébert ?
J'essaye de brancher mes interlocuteurs sur le sujet qui motive ma présence dans cette taverne.
- Bébert? c'est autre chose, lui se frotter à une pile de bois qui se casse la gueule, c'était étonnant, un prudent, même avec un coup dans le nez hein Louis...enfin c'est tellement bizarre... Fernande vous a donné le point de vue des habitants de notre quartier, je sais qu'il compte peu aux yeux des autorités, pour nous, c'est certain, notre ami Bébert a été assommé avant et volontairement... le tas de bois était une...couverture...
- Quels sont les éléments qui vous permettent une telle affirmation?
- Le nez, et puis... mais le pauvre est mort, même si l'assassin est découvert, il ne reviendra plus boire un canon sur ce comptoir ni ailleurs.
- Pourquoi aurait-il été assassiné ?
- Allez savoir, certains trouvent toujours un bon motif.
- Il avait fait l'objet de menaces?
- C'est bien possible... bon excusez-moi, je dois monter au bourg, j'ai des courses à faire, c'est moi qui suis de corvée aujourd'hui, si je ne ramène pas le pain pour midi je me fais incendier.
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