Le rocher du diable
Etait-ce le désir inavouable de revoir la belle Albertine ou mon intuition qui me ramenait vers Les Barrettes ? La maîtresse des lieux m’avait aimablement invité, son adjoint devait me présenter les résultats tangibles du harcèlement de son voisin, j’avais donc un alibi pour reprendre ce chemin rectiligne et agréablement ombragé. C’est beau la campagne, et dire que des secteurs entiers se dépeuplent pendant que les citadins s’entassent et étouffent, se marchent sur les pieds et se heurtent sur les trottoirs, s’embouteillent en voiture au milieu d’une pollution en constante progression. Je me laisse glisser doucement vers l’entrée de la propriété pour profiter de la beauté du paysage, cette fois le parking est libre, le tronc du marronnier est moins menaçant.
Un comité d’accueil semblait m’attendre dans la cour, Albertine, Alain, mais aussi une jeune femme.
- Sylvia, l’épouse d’Alain...il doit faire terriblement chaud en voiture, puis-je vous offrir un jus de pomme ?
Voici la cavalière qui m’avait été décrite, sans la cravache, mais avec une veste bien ajustée et un pantalon moulant les fesses, mon regard se portait immanquablement vers la croupe, audacieuses et désirables les femmes de cinquante ans. Martine ne manquait jamais de me faire la réflexion « Les femmes les plus dangereuses sont celles qui approchent ou dépassent légèrement le demi siècle, j’ai de nombreux exemples avec mes clientes situées dans cette tranche d’âge, c’est fou ce qu’elles achètent comme vêtements sexy et lingerie fine » Que cache Albertine sous son corsage et son pantalon ?
Le jus de fruit est le bienvenu.
- Vous partez en voiture, je fais une promenade à cheval et je vous rejoins un peu plus tard de l’autre côté du pont.
Alain vient de sortir un 4/4 du garage.
Nous quittons la grande cour et abordons un chemin empierré bordé d’épais buissons épineux.
- Un refuge pour des milliers d’oiseaux mais de l’élagage à longueur d’année, c’est incroyable comme la croissance est rapide.
Nous avons dépassé une petite crête et descendons vers une dépression.
- Dans le fond, sur la gauche, un étang souvent à sec en cette saison, il faudrait construire une digue pour retenir l’eau et l’empêcher de se répandre dans les près environnants, c’est en prévision, cela représente un gros investissement mais une telle réserve attirerait les oiseaux aquatiques et rendrait les promenades équestres encore plus agréables.
Alain freine brusquement, j’avais négligé la ceinture, je dois me protéger pour éviter cogner le pare-brise.
- Le salaud, encore une nouveauté, c’est vraiment un fou.
Nous descendons du véhicule, devant nous... un ponceau effondré, impossible de le traverser.
- Regardez les traces de pneus, il est venu avec un tracteur pour le faire crouler, il a pris des risques mais c’est son habitude.
- Votre charmant voisin je suppose?
- Hubert... pour arriver ici, il a dû enfoncer une clôture, encore une réparation, du travail imprévu, venez, nous allons continuer à pieds.
Nous nous enfonçons dans un chemin encaissé et bordé d’arbres et arbustes, des pigeons ramiers s’envolent à notre approche, une souris traverse, un bourdonnement incessant d’insectes nous accompagne.
- Chut...ne bougez pas...elle est là aujourd’hui.
Sur notre gauche, un gros rocher avance sa masse sombre, elle, c’est une tache blanche qui se détache au sommet de ce bloc énorme.
- Océane... elle peint.
Effectivement je distingue un chevalet et, se tenant debout, une dame armée d’un pinceau.
- C’est la femme d’Hubert Fontan, un peu fofolle mais drôlement jolie.
- Océane, joli prénom.
- C’est un pseudonyme, elle signe ses toiles ainsi.
Les vagues ! j’ai toujours en mémoire les mots composant le message énigmatique, il est question de vagues...Océane, l’hôtel de la Falaise pour les pieds dans le plat, le pêcheur pour l’anguille, la roche, elle est devant moi, manque le bec.
- Elle est sur sa propriété ?
- Non, le rocher du diable est situé dans une sorte d’enclave appartement à la commune de Balermont, ce secteur est inclus dans la forêt communale.
- Ce serait plutôt le rocher d’un ange.
- Quand Océane est sur la plate-forme, c’est vrai...si elle nous voit ou nous entend, elle va vivement plier bagages, une vraie sauvageonne.
Alain avait raison, la forme blanche aux cheveux noirs attrapait son matériel et disparaissait rapidement à nos yeux, il m’avait semblé qu’elle avait perdu quelque chose, mon guide l’avait également remarqué.
- Un pinceau doit être tombé, allons voir.
Nous traversons une clôture de barbelé, Alain soulève un fil afin que je puisse passer sans dommage.
- Il faut monter par le sentier.
Nous franchissons un éboulis de grosses pierres ressemblant à un tumulus, dominant cet amas, le rocher du diable ressemble un arc-boutant soutenant la colline boisée. L’endroit est étrange, les voix résonnent curieusement, la paroi du rocher est lisse et humide. Nous gravissons un sentier abrupt, heureusement, des marches naturelles semblant taillées dans la roche facilitent la montée.
- Il est là.
Le pinceau était en équilibre instable, je veux m’en saisir, il tombe dans une faille.
Je plonge mon bras dans la fente et ce que ma main rencontre n’a rien à voir avec un pinceau, je palpe l’objet dans le fond du trou, l’impression que c’est un carnet ou un… portefeuille.
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