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Etrange personnage que cette Albertine, ses yeux clairs changent de reflet suivant les phrases prononcées, parlant de ses parents, c’était un bleu voilé, puis l’évocation de Mario  balaye les nuages pour faire place à une lumière vive et étincelante, ensuite la luminosité s’atténue, une femme passionnée, sans aucun doute.

- La première chute, vous savez qui avait saboté le madrier.

Je m’attendais à une brusque réaction, d’ailleurs c’était mon intention de choquer, c’est après une confession que l’être humain est le plus vulnérable. Albertine reste de marbre, elle fixe l’horizon intensément et je comprends pourquoi, une tache gris clair dépasse de la masse sylvestre.

- Le réservoir d’eau?

- Oui, environ mille cinq mètres à vol d’oiseau, il était beaucoup plus visible avant, d’année en année il se recroqueville, se fait tout petit.

Belle image pour dire que les arbres qui l’entourent grandissent et s’épaississent, je venais de le constater sur place.

- Le saboteur, je croyais savoir qui il était mais  je m’étais  trompée.

- Vous aviez pensé à qui ?

- Est-ce bien utile d’en parler ? Cette fois Jacques est bien mort, aucun tas de sable pour amortir sa chute...Si vous avez du temps à perdre avec moi, je pourrais vous raconter une longue histoire, si vous tenez à connaître l’essentiel je peux vous résumer.

Albertine se lève et se place en face de moi, sa robe vaporeuse est agitée par une brise légère, son visage est à contre-jour, j’ai l’impression qu’elle a vingt ans. Du temps à perdre ? je sens que le décor, les odeurs agréables, cette sorte de force tranquille qui émane de cette femme me grisent, la voix douce et claire me berce, je me sens bien.

- Tout d’abord, j’avais pensé à un jaloux, voyez ces toits de tuiles à gauche, ce sont ceux de la ferme des Epinaies, propriété d’Hubert Fontan un ami d’enfance qui espérait beaucoup mieux qu’une amitié. Je ne pouvais l’aimer, trop long à justifier, ses parents et lui sont devenus odieux, je les rends responsables de la mort de papa et de la maladie de maman. Pendant des années, ils nous ont harcelés, encore maintenant, alors qu' Hubert est devenu le patron, il continue à nous faire des misères, Alain mon moniteur équestre pourrait vous en parler longuement. J’étais persuadé qu’Hubert et le saboteur ne faisaient qu’un, pendant vingt-cinq ans j’avais cette certitude.

- Et monsieur Léonardin vous a appris qu’il ne pouvait s’agir de ce monsieur.

- C’est cela, et sa présence à Balermont, en plus de retrouver des souvenirs avait pour but de mettre un nom sur le coupable.

- Il était arrivé à ce but et il c’est peut-être ce qui l’a perdu.

- J’en suis persuadée.

- Les raisons invoquées pour écarter Fontan  de la liste des suspects ?

- Jacques venait d’apprendre que le motif du sabotage n’avait rien à voir avec la jalousie, c’était une histoire de détournement de matériel, en l’occurrence du bois, les malversations duraient depuis plusieurs mois et les auteurs pensaient que le directeur des travaux avait été informé, ayant des craintes,  ils n’ont pas hésité,  l’un d’eux a scié le madrier.

- Qui lui avait donné cette information ?

- Je l’ignore et je n’ai rien demandé, je suppose  que c’est un ancien ouvrier...nous marchons s’il vous plaît,  Alain et ses promeneuses ne vont pas tarder.

Nous débouchons dans la vaste cour en même temps que trois chevaux montés respectivement par un homme et deux jeunes femmes. Pendant que montures et cavaliers se dirigent vers les boxes, Albertine m’entraîne dans son bureau situé en sous-sol de la grande demeure.

- J’étais installée dans une pièce au-dessus mais le matériel moderne est incompatible avec le mobilier.

Un équipement informatique complet encombre le petit bureau, une certaine fraîcheur règne dans cet endroit, j’ai droit à un jus de pomme et notre conversation s’engage sur le chemin de la banalité, je prends congé de la dame.

- Revenez me voir quand vous voulez, je pourrai vous présenter le bilan des actions menées  par mon aimable voisin, vous verrez c’est édifiant.